Plus d’électricité ou « mieux » d’électricité: la France doit choisir

22 septembre 2025

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Solaire Eolien Wikimedia Commons
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Plus d’électricité ou « mieux » d’électricité: la France doit choisir

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Attendue de longue date, la publication de la Programmation pluriannuelle de l’énergie a été repoussée au dernier moment par François Bayrou, qui a tenu compte d'un rapport confidentiel alarmant sur la surcapacité de production électrique du pays. Aucun des leviers supposés soutenir la hausse de la consommation électrique n'est au rendez-vous. L’urgence n’est donc surtout pas d’investir dans de nouvelles capacités renouvelables qui viendront encore un peu plus grever les dépenses d’un Etat incapable de les maitriser. Seule une plus grande flexibilité peut permettre de stimuler une demande en berne et de transformer l'énergie excédentaire bas-carbone en valeur économique.

Un pavé dans la piscine de refroidissement nucléaire. L’évènement est finalement passé relativement inaperçu dans la torpeur de l’été et à l’approche d’une rentrée politique et sociale qui était à haut risque pour le gouvernement. On a pu le mesurer avec sa chute. L’avènement en question a pourtant, des conséquences déterminantes pour l’avenir énergétique du pays. En plein cœur de l’été donc, le 1er août, devait être publié par le gouvernement le décret de Programmation pluriannuelle de l’énergie, version 3 (PPE3). Une feuille de route qui trace, théoriquement, les ambitions françaises en termes de mix énergétique à l’horizon 2035.

Quand une note confidentielle repousse la publication d’un plan attendu depuis des mois

Quelques heures cependant avant que soit gravé dans le marbre ce document stratégique, le désormais ex-premier ministre, François Bayrou, a suspendu la publication du décret pourtant attendu avec une grande impatience par les acteurs de la filière. Pourquoi un tel revirement ? Quelques semaines avant la date fatidique, l’hôte de Matignon avait reçu une note confidentielle, rédigée à l’attention de quelques parlementaires par le haut-commissaire à l’Énergie atomique, Vincent Berger. C’est le contenu de ce rapport, désormais public, qui a fait changer d’avis François Bayrou.

Que contenait ce document pour convaincre l’ancien premier ministre de repousser, sine die, la publication d’une PPE3 qui devait, en principe, arbitrer les volumes à installer (relance du nucléaire, massification de l’énergie solaire ou de l’éolien off-shore, etc.) ? La première raison est exogène au rapport lui-même. Elle tient, pour une large part, à la volonté affichée par François Bayrou de faire adopter un budget austéritaire, lui-même fondé sur le constat d’une dette française hors de contrôle. Le prédécesseur de Sébastien Lecornu n’eût-il pas été arc-bouté sur cet enjeu budgétaire que la PPE3 aurait, peut-être, connu un autre destin.

Trop d’électricité, pas assez de demande: aux sources du déséquilibre français

Car la conclusion du rapport du haut-commissaire est limpide. Sans inflexion majeure du projet de PPE3, la surcapacité de production électrique française s’avérerait « très pénalisante pour le consommateur ou pour le contribuable », met en garde Vincent Berger. En d’autres termes, le projet de programmation tel que le gouvernement s’apprêtait à le publier aurait conduit à un plus grand déséquilibre encore des finances publiques. Aux racines du problème, le haut-commissaire identifie un enjeu, structurel, de surproduction électrique; pour le dire simplement, la France produit plus d’électricité qu’elle n’en consomme.

Cette surcapacité structurelle se manifeste de plusieurs manières. Au printemps dernier, pendant vingt-trois jours d’avril sur trente et vingt-neuf jours de mai sur trente-et-un, les « prix spots » de l’électricité sont ainsi devenus nuls ou négatifs entre 11 heures et 16 heures. L’électricité produite à ces heures n’a pas trouvé preneur et a donc été écoulée à perte, tout en étant payée au prix garanti à ses producteurs. Une véritable gabegie économique. Pire : RTE, le gestionnaire de réseau, a dû le 29 mai demander l’effacement de plusieurs gigawatts de production solaire, payés mais « perdus » car non injectés dans le réseau.

Un loupé provisoire ? Pas vraiment, d’après Vincent Berger  « ce phénomène était déjà présent en 2024 et s’est fortement accentué en 2025 ». Et le haut-commissaire de prévenir que « si une offre photovoltaïque est ajoutée aux moyens de production actuels, alors que la demande reste en berne, ces moyens (…) supplémentaires seront obligés de ne pas produire. Nous aurons donc des actifs en partie échoués, dès leur inauguration, avec des coûts importants sur le consommateur et pour le contribuable ». Or la France investit massivement dans les énergies renouvelables, à hauteur de 11 milliards d’euros pour la seule année en cours. Autant d’argent investi en quelque sorte… à perte.

Des scénarios irréalistes

Comment la France s’est-elle retrouvée dans une telle situation ? Parce qu’elle suit, de l’aveu même du haut-commissaire, un objectif de réduction des émissions de CO2 « trop ambitieux ». « La stratégie volontariste de l’offre fait peser un risque de surproduction si les possibilités d’exportation ne sont pas au rendez-vous », écrit encore Vincent Berger. Cela tient au fait que Paris a bâti sa stratégie énergétique – et, notamment, la PPE3 – « sur la base d’une directive européenne dont la réalité montre qu’elle ne pourra malheureusement pas être suivie des faits ».

La PPE3 repose sur des hypothèses de consommation électrique totalement irréalistes établies à Bruxelles. Avec 15 millions de voitures électriques en 2035, quand seuls 300.000 véhicules ont été écoulées au cours des deux dernières années. La réindustrialisation du pays tandis que depuis dix ans la consommation électrique de l’industrie ne cesse de chuter. Le développement rapide de l’hydrogène vert dont à peine 3% de l’objectif français en la matière a été atteint. Autrement dit, aucun des leviers supposés soutenir la hausse de la consommation électrique n’est au rendez-vous.

La flexibilité pour stabiliser le réseau et les finances publiques

Le constat dressé par le haut-commissaire à l’Énergie atomique est d’autant plus alarmant qu’il faut y ajouter les coûts, qui se chiffrent en dizaines de milliards d’euros, de raccordement des nouvelles capacités renouvelables au réseau. Ainsi que la rigidité inhérente au parc nucléaire français, un réacteur ne pouvant ni être stoppé et redémarré rapidement, ni descendre sans risque pour sa stabilité en-deçà d’un certain plancher de production. « Si nous ajoutons trop d’EnR au moment même où la consommation stagne », met en garde dans Les Echos le député Joël Bruneau, les périodes de prix négatifs vont augmenter, pendant lesquelles il faudra quand même (payer) les producteurs de renouvelables ».

L’urgence n’est donc pas tant d’investir des milliards dans les EnR que d’introduire davantage de flexibilité et de mécanismes de gestion intelligente de la demande. Sans solutions innovantes permettant de stimuler cette demande et de transformer l’énergie excédentaire bas-carbone en valeur économique et en moteur de compétitivité européenne, le risque est de maintenir un système à la fois déséquilibré et coûteux.

Tandis que le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, hérite de ce dossier pour le moins… électrique, l’équation demeure donc entière. Comment stabiliser le réseau, soulager les finances publiques et soutenir, conjointement, l’économie et la croissance du pays ?

Gil Mihaely

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