Shein, Temu et le fret aérien: un faux procès

10 septembre 2025

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Wikimedia Commons
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Shein, Temu et le fret aérien: un faux procès

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En 2023, le fret aérien en France a représenté 2,12 millions de tonnes, dont 134.600 tonnes en transport intérieur (+ 3,4% par rapport à 2022) et près de deux millions de tonnes en échanges internationaux, soit 94% du total. Ces volumes restent marginaux comparés aux 300 millions de tonnes transportées par la route et aux 290 millions de tonnes par voie maritime. Pourtant, dans le débat public le fret aérien est souvent pointé du doigt, notamment à travers les livraisons des géants chinois du e-commerce comme Shein et Temu, accusés de générer une explosion des émissions de CO₂. C’est surtout parce qu’ils sont des cibles faciles et donnent la possibilité aux pouvoirs publics d’inventer une nouvelle taxe… pour soi-disant sauver la planète.

Dans cette affaire, les faits contredisent largement le récit qui nous a été asséné depuis des semaines. En France, d’après les chiffres officiels, le fret aérien représente seulement 3,1% des mouvements d’avions et 3,8% des émissions du transport aérien. Ces émissions elles-mêmes doivent être replacées dans un contexte plus large. Le transport aérien dans son ensemble ne pèse que 2% des émissions mondiales de CO₂. Autrement dit, l’impact du fret lié à Shein et Temu est infinitésimal et sert surtout de prétexte pour justifier de nouvelles taxes sur les consommateurs français.

Pensons ainsi à la taxe sur la « fast fashion » portée par l’exécutif, qui prévoit un malus écologique qui pourra atteindre jusqu’à 10 euros par vêtement en 2030, ou encore une taxe (entre 2 et 4 €) sur les petits colis livrés par des entreprises établies hors de l’Union européenne. Cette PPL, qui aura pour conséquence immédiate de toucher les Français les plus modestes, est justifiée par la ministre du Commerce et de l’Artisanat Véronique Louwagie en raison du nombre d’avions cargo gavés de marchandises Shein et Temu qui déferleraient chaque jour en Europe : 600, selon elle – chiffre repris sans précaution par de nombreux médias.

Problème, d’après Public Eye, ce chiffre est très largement surestimé. L’ONG suisse en dénombre 20 par jour, soit la bagatelle de… 30 fois moins. Et pour cause, selon le très sérieux Financial Times, seuls 630 avions cargo sont en activité dans le monde. Pour donner raison à la ministre, il faudrait donc qu’ils soient presque tous affrétés par Shein et Temu au départ de Chine. Pour le moins improbable.

Un secteur stratégique

En réalité, le fret aérien est un outil stratégique. En 2020, il ne représentait que 1% du fret mondial en volume, mais 35% en valeur, comme le rappelle l’expert aérien Xavier Tytelman. C’est lui qui transporte les produits à forte valeur ajoutée, les composants technologiques et les biens stratégiques, souvent impossibles à acheminer rapidement par d’autres modes. Pendant la pandémie, ce sont les avions cargo qui ont acheminé masques, vaccins et matériel médical à travers le monde.

Au-delà de son rôle logistique et économique, le secteur aérien est aussi au cœur d’une transformation environnementale. Imaginez un ciel où chaque avion vole avec un carburant qui ne laisse derrière lui qu’une empreinte écologique minime. Ce rêve, porté par des acteurs majeurs comme Air France, est en train de devenir réalité grâce aux carburants d’aviation durable (SAF). À l’occasion du Salon du Bourget 2025, la directrice générale d’Air France, Anne Rigail, a partagé une vision ambitieuse : décarboner l’aviation tout en préservant la compétitivité du secteur.

Carburants décarbonés

Les SAF, produits à partir de biomasse ou de procédés innovants comme les électro-carburants, sont au cœur de cette révolution. L’Union européenne impose dès 2025 un taux d’incorporation de 2% pour tous les vols au départ de l’Europe, qui grimpera à 6% d’ici 2030. Les volumes existent déjà pour atteindre ces objectifs, notamment via des procédés comme le HEFA (Hydroprocessed Esters and Fatty Acids). Mais un défi majeur demeure : le coût, jusqu’à trois fois supérieur à celui du kérosène classique. Comme le souligne Anne Rigail : « Les volumes de SAF sont là, mais l’enjeu est de supporter les coûts pour les compagnies européennes sans perdre des parts de marché ».

Cette équation économique est cruciale. Air France investit déjà 1 milliard d’euros par an dans le renouvellement de sa flotte, mais ne peut assumer seule le surcoût des SAF. C’est donc un enjeu industriel et politique, où l’Europe doit se donner les moyens de ne pas pénaliser ses compagnies face à la concurrence mondiale.

En parallèle, il ne faut pas oublier la dimension sociale : le transport aérien compte près de 90.000 salariés en France, soit près de 5% des emplois du transport et de la logistique. Après une perte de 8.300 emplois en 2020 due au Covid, le secteur a retrouvé une dynamique positive : 5.000 recrutements entre 2021 et 2022, avec des besoins encore croissants, notamment dans les métiers d’assistance en escale.

Le fret aérien est donc bien plus qu’un simple vecteur des achats en ligne. Marginal en volume mais stratégique en valeur, limité dans ses émissions mais vital pour l’économie, il se transforme aujourd’hui pour intégrer la révolution verte des carburants durables.

Gil Mihaely

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