Les efforts visant à réduire les liens énergétiques entre l’Europe et la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022 ont été lents à porter leurs fruits mais ont fini par réduire fortement les exportations de gaz de Moscou et modifier sensiblement les flux mondiaux de pétrole brut. Les pays européens n‘achètent presque plus de pétrole russe avec des exportations tombées de 3,5 millions de barils par jour en 2021 à 0,4 million de baril par jour l’an dernier. En revanche, Moscou a trouvé en offrant des prix cassés, d’autres clients, notamment l’Inde et la Chine. L’Inde a multiplié par 19 entre 2021 et 2024 ses achats, de 0,1 à 1,9 million de barils russes par jour, et la Chine de 50% à 2,4 millions de barils par jour.
L’attention des Européens se porte maintenant sur les produits pétroliers raffinés et plus particulièrement sur le diesel raffiné à partir du pétrole brut russe en dehors de l’Union européenne (UE). Une façon indirecte de tenter de continuer à réduire les recettes pétrolières du Kremlin. Mais l’UE a dans ce domaine plusieurs problèmes. Elle est dépendante des importations de diesel, faute d’avoir des capacités de raffinage suffisantes, et en outre il est pratiquement impossible de retracer l’origine de chaque molécule de diesel dans le monde.
Interdire les importations provenant de tout pays connu pour acheter des barils russes
Ainsi, depuis le début de la guerre en Ukraine, les raffineries en Inde, en Turquie et dans le Golfe ont importé de grandes quantités de pétrole brut russe, l’ont transformé et ont expédié le carburant fabriqué vers l’Europe. Ce commerce est légal, même s’il contourne évidemment la logique des sanctions prises contre les exportations de pétrole russes.
La solution existe mais elle peut créer de grandes perturbations dans l’approvisionnement de l’Europe en diesel. Il suffit d’interdire les importations en provenance de tout pays connu pour acheter des barils russes. Il s’agirait de contraindre des pays comme l’Inde et la Turquie de cesser d’acheter du pétrole brut russe. Les États-Unis menaçant également d’imposer des droits de douane élevés à tout acheteur de pétrole russe, cette combinaison pourrait réellement mettre en difficulté les exportations d’or noir par Moscou.
Risques pour l’activité économique
Mais les risques sur l’envolée des prix du diesel et donc l’activité économique sont importants. Car les capacités de raffinage de l’Europe sont non seulement insuffisantes mais ne cessent de baisser. À travers le continent, le durcissement des objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre, la faiblesse des marges du raffinage et le vieillissement des infrastructures poussent les usines à fermer les unes après les autres. Et plus l’Europe dépend des importations de carburant, plus il devient difficile de contrôler la source et d’assurer le bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement.
La demande, en revanche, reste assez forte. Le diesel est toujours indispensable dans les transports, l’agriculture et l’industrie lourde. Si les alternatives gagnent du terrain, elles ne sont certainement pas en mesure de combler le vide. Les gouvernements se trouvent donc face à un équilibre incertain à trouver : rendre les sanctions plus efficaces sans provoquer de pénurie et d’envolée des tarifs. Le problème est que les prix du diesel ont déjà commencé à s’envoler.
Les prix du diesel sont déjà à la hausse dans les stations-service
Ainsi en France depuis le début de l’été, le prix du diesel dans les stations-service se rapproche peu à peu de celui de l’essence. Le 6 août, le litre d’essence était à 1,68 euro en moyenne pour du SP95 et celui du diesel à 1,64 euro le litre en dépit d’une taxation moindre. « Le prix du diesel va continuer à être élevé à l’avenir, reconnaissait il y a quelques jours Patrick Pouyanné, le Pdg de TotalEnergies, lors de la présentation des résultats semestriels de la compagnie. L’interdiction des produits russes en Europe a fait augmenter les importations du Moyen-Orient et des Etats-Unis, avec des coûts plus importants ». Fautes de capacités de raffinage, la France importe plus de la moitié de sa consommation de diesel.
Maintenant, comme tout marché mondialisé de produits facilement transportables, les marchés du diesel sont particulièrement flexibles. Les sanctions et les perturbations passées ont contraint les raffineurs, les négociants et les transporteurs à trouver de nouvelles voies d’approvisionnement. Le diesel, qui était auparavant destiné à l’Europe, pourrait trouver des débouchés en Amérique latine ou en Asie. Et dans le même temps, l’Europe pourrait s’approvisionner davantage auprès des États-Unis ou de l’Asie de l’Est. Mais ces transitions se déroulent rarement sans heurts et ce sont les consommateurs qui payent…