<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Minéraux critiques: sous la coupe chinoise

16 juillet 2025

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Photo : Terres rares Chine
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Minéraux critiques: sous la coupe chinoise

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L’indépendance et la souveraineté énergétique resteront des promesses vides de sens tant que l’Europe ne sera pas capable de contrôler, au moins en partie, son approvisionnement en minéraux dits critiques indispensables à la fabrication des équipements de la transition énergétique et à l’électrification des usages. Mais le problème est particulièrement difficile à surmonter. La mainmise de l’industrie chinoise sur l’exploitation et plus encore le raffinage de ses matériaux ne cesse de se renforcer et relancer une telle filière industrielle demande des investissements importants, de nombreuses années et de surmonter les oppositions à des activités nocives pour l’environnement. Ce n’est pas l’apparition récente de filières de contrebande permettant d’échapper aux contrôles et embargos des autorités chinoises qui va vraiment régler le problème.

La nécessité de la souveraineté énergétique et de la sécurité d’approvisionnement a été redécouverte soudainement en Europe au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie il y a maintenant trois ans et demi. Un aveuglement et une désinvolture qui encore aujourd’hui semblent incompréhensibles. Cela a donné lieu à partir de février 2022 à un sauve-qui-peut pour trouver une solution de remplacement aux achats de pétrole et surtout de gaz russe. Si les importations de gaz russe par les pays européens ont beaucoup baissé (de 45% de la consommation en 2021 à 19% en 2024), elles n’ont pas pour autant disparu. Et en contrepartie les prix de l’énergie se sont envolés venant accentuer la grande faiblesse de la compétitivité des économies européennes. Les prix de l’énergie en Europe sont en moyenne deux à trois fois plus élevés que ceux des Etats-Unis et de la Chine.

La solution affirme les institutions européennes et les mouvements et organisations écologistes, ce sont les renouvelables intermittents (éolien et solaire) et les batteries. Pas si simple. Car cela revient à troquer une dépendance pour une autre. Vis-à-vis de la Russie pour le gaz par gazoduc, aux Etats-Unis et au Qatar pour le GNL (Gaz naturel liquéfié) et à la Chine pour les équipements et les technologies de la transition (panneaux photovoltaïques, moteurs électriques, aimants permanents, onduleurs, cellules de batteries, pompes à chaleur…) et surtout pour les minéraux dits critiques indispensables à la fabrication des équipements en question. L’Europe peut construire toutes les méga-usines de batteries qu’elle veut, il faut du lithium, du nickel, du cobalt, du cuivre, du graphite pour les faire fonctionner. Et ils sortent des usines chinoises qui en fixent les prix et les quantités disponibles.

Une mainmise qui ne cesse de se renforcer

La Chine contrôle de fait le raffinage de 19 des 20 minéraux les plus consommés considérés comme critiques avec en moyenne des parts du marché mondial de 70%… Et au cours des dernières années, en dépit des discours volontaristes et des études montrant les risques de la dépendance, Pékin a renforcé sa mainmise sur ses marchés. Il faut dire que la stratégie chinoise consiste depuis deux décennies à prendre systématiquement et avec succès le contrôle des filières industrielles liées à la transition et à l’électrification des usages énergétiques.

« En termes de perspectives de sécurité énergétique, la situation n’a rien de rassurante », reconnait Fatih Birol, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans le Financial Times. « A l’Agence international de l’énergie, l’une de nos règles d’or pour assurer la sécurité énergétique est la diversification. Dépendre trop fortement d’un carburant particulier ou d’un fournisseur peut créer des risques substantiels comme l’Europe l’a découvert avec des coûts considérables avec la fourniture de gaz naturel par la Russie. Malheureusement, l’approvisionnement de six minéraux critiques liés à l’énergie – cuivre, lithium, nickel, cobalt, graphite et terres rares – va dans la direction opposée. Il est de moins en moins diversifié… », ajoute-t-il.

Interdictions et limitations des exportations

Et la Chine a fait l’an dernier et à plusieurs reprises la démonstration de sa puissance et de sa capacité de nuisance. Elle a ainsi d’abord interdit les exportations vers les États-Unis de trois minéraux : l’antimoine, le gallium et le germanium. Il s’agissait d’une mesure de rétorsion à la suite de mesures prises par Washington à l’encontre du secteur des puces électroniques du pays. Mais il y a toujours des failles dans les embargos. Plusiseurs études révèlent que des négociants chinois contournent l’interdiction en réacheminant des cargaisons aux Etats-Unis via des pays tiers. Selon les données des douanes américaines, les Etats-Unis ont ainsi importé 3.834 tonnes d’antimoine du Mexique et de la Thaïlande dans les quatre mois suivant l’embargo. Plus que les trois années précédentes additionnées. Le Mexique et la Thaïlande figurent maintenant parmi les trois principaux importateurs d’antimoine de Chine tandis qu’ils n’étaient pas dans les dix premiers il y a dix ans. Cela donne peut-être un répit mais ne règle pas le problème de fond. Et l’intérêt manifesté bruyamment par l’administration Trump pour les terres rares du Groenland et de l’Ukraine doivent encore devenir une réalité économique et industrielle.

D’autant plus comme le souligne Fatih Birol, que « plus de la moitié des minéraux stratégiques font l’objet d’une forme ou d’une autre de restrictions à l’exportations et de contrôles des échanges. Des restrictions qui ne se limitent plus aux minerais bruts et raffinés mais qui touchent aussi les technologies pour traiter les minéraux ».

Et il y a trois mois, la Chine a encore plus montré ses muscles. Pour répliquer à la guerre des droits de douane lancée par l’administration Trump, elle a décidé d’utiliser l’arme des terres rares en limitant les exportations de 7 types de terres rares dites « lourdes ». Depuis le 4 avril, les exportateurs chinois de samarium, gadolinium, terbium, dysprosium, lutécium, scandium et yttrium doivent demander des licences d’exportation et la réexportation vers les États-Unis est interdite. La Chine a placé 16 entités américaines – principalement dans les secteurs de la défense et de l’aérospatiale – sur une liste de contrôle des exportations, les empêchant de recevoir des produits dits à double usage. Cela crée de sérieux problèmes à l’industrie de défense et à l’automobile.

La demande ne peut qu’augmenter

La question est d’autant plus cruciale que la demande de minéraux critiques augmente de façon continue et va continuer à le faire. Le ministère américain de l’énergie répertorie pas moins de 50 minéraux critiques, et l’UE en compte 34. L’an dernier, la consommation de lithium a bondi de 30% et celles de nickel, de cobalt, de graphite et de terres rares de 6 à 8%. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande est avant tout tirée par les équipements énergétiques telles que les véhicules électriques, les batteries, les renouvelables et les réseaux de distribution. Pour le lithium, le nickel, le cobalt et le graphite, le secteur de l’énergie a représenté 85% de l’augmentation de la demande au cours des deux dernières années. L’AIE prévoit que la demande de minéraux essentiels pourrait tripler d’ici à 2030 et quadrupler d’ici à 2040… Des prévisions à prendre avec beaucoup de précautions, l’AIE ayant tendance à prendre ses désirs pour la réalité, mais la tendance est-elle indéniable.

Le problème est que développer des capacités minières et des filières industrielles de raffinage des minerais est difficile. Cela nécessite des investissements lourds sur de nombreuses années dans des activités nocives pour l’environnement et qui se heurtent généralement à des oppositions locales fortes. Il faut une dizaine d’année pour construire et exploiter une mine. Et les activités industrielles de raffinage sont souvent tout aussi polluantes du fait des technologies chimiques employées. En outre, de nombreux métaux et minéraux ne sont pas abondants et les gisements ne sont pas répartis sur toute la surface du globe. Les réserves n’existent que dans certaines régions du monde dont la Chine qui extrait par exemple de son sol 95% du gallium. L’Australie fournit environ 50% de la production mondiale de lithium et l’Indonésie environ 40% du nickel mondial. Le cobalt est principalement extrait en République démocratique du Congo (RDC). Pour ce qui est des terres rares, la Chine produit environ 40% du total mondial, suivie du Viêt Nam et du Brésil avec environ 20% chacun.

Oppositions locales farouches et contestations juridiques

Sans surprise aussi, le nombre de contestations juridiques des projets miniers ne cesse de grandir. Le Centre de ressources pour les entreprises et les droits de l’homme (BHRRC), qui recense les actions en justice intentées contre des projets de construction d’usines liées aux équipements d’énergie renouvelable ou d’exploitation minière, a compté 95 procédures lancées depuis 2008, les trois quarts d’entre elles ayant été déposées au cours des sept dernières années. Le groupe a constaté que 71% des poursuites étaient liées à l’exploitation de bauxite, de cobalt, de cuivre, de lithium, de manganèse, de nickel, de zinc et de minerai de fer.

Près de la moitié des plaintes avaient été déposées par des autochtones, et 49% de ces poursuites étaient liées à des violations des droits des peuples autochtones. Elodie Aba, chercheuse juridique du BHRRC, explique au Guardian que: « les poursuites judiciaires, qui sont souvent un dernier recours, sont devenues un outil puissant pour ceux qui sont exclus du processus de prise de décision. Ces actions en justice ne sont pas un rejet de l’action climatique ; elles sont une demande pour une transition juste ».

Enfin, il existe dans ce domaine un véritable maquis juridique. L’AIE a recensé près de 200 politiques et stratégies nationales concernant les minéraux critiques. Elles visent notamment, ce qui n’est évidemment pas contestable, à garantir que l’exploitation minière ne cause pas de dommages irrémédiables à l’environnement ou ne porte pas atteinte aux droits de l’homme.

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