<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’Europe veut de l’acier vert ou bas carbone mais n’en a pas les moyens

1 juillet 2025

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L’Europe veut de l’acier vert ou bas carbone mais n’en a pas les moyens

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L'Union Européenne (UE) se trouve face à une contradiction et une incohérence dont elle est coutumière. Elle s'est engagée à dépenser des milliards d’euros pour son réarmement. Et l'acier est un élément essentiel dans la production des armes et des munitions dont l’UE manque pour faire face à la menace russe. Mais l'Europe ne veut pas n'importe quel acier, elle veut de l'acier vert ou bas carbone. Sauf qu’il est si cher et si peu compétitif que les sidérurgistes européens, confrontés déjà aux importations chinoises bon marché, renoncent aux projets annoncés ou dans le meilleur des cas les retardent. Et l’Europe n'a pas vraiment le temps ni les moyens de subventionner à outrance une filière entière comme la sidérurgie. Elle va devoir faire un choix, ce qu’elle n’aime pas du tout.

Avec le ciment, le plastique et l’ammoniac (pour les engrais azotés), l’acier est l’un des quatre matériaux indispensables à la vie moderne qu’il est particulièrement difficile de fabriquer sans combustibles fossiles. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la sidérurgie est à l’origine de 7% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit 3,5 milliards de tonnes par an. Par ailleurs, la demande d’acier devrait augmenter de 30% d’ici à 2050. Maintenant, il existe des solutions techniques qui ont été expérimentées pour produire de l’acier vert ou bas carbone. Deux d’entre elles ont été développées au cours des dernières années.

La première utilise de l’hydrogène, plus précisément de l’hydrogène vert décarboné produit par électrolyse avec de l’électricité bas carbone. L’autre solution consiste à remplacer les hauts fourneaux alimentés au charbon par des fours à arc électrique qui fonctionnent, là encore, avec de l’électricité bas carbone. Enfin, il existe des technologies de transition. Elles consistent à remplacer le charbon (coke) des hauts fourneaux par du charbon de bois durable (biochar) ou à utiliser des technologies de capture et de stockage du carbone lors des processus de fabrication du fer et de l’acier. Tout cela n’a évidemment un avenir que si les coûts de production de cet acier ne sont pas prohibitifs… C’est tout le problème.

Coûts exorbitants

ArcelorMittal a confirmé son intention d’investir 1,2 milliard d’euros pour construire des fours électriques à arc à Dunkerque… en profitant de l’électricité nucléaire française, abondante, bon marché et fiable. Il pourrait être opérationnel en 2028 et pourrait produire 2 millions de tonnes d’acier par an. Mais on peut avoir quelques doutes. ArcelorMittal, qui fabrique 7 millions de tonnes d’acier par an à Dunkerque, est dans une situation économique et financière difficile face à la concurrence des aciéries chinoises et a annoncé des centaines de licenciements. Les fours électriques à arc faisaient partie d’un plan « décarbonation » plus vaste qui a été abandonné. Le plan comprenait deux fours électriques et la mise en place du procédé DRI, qui permet de se passer de charbon, remplacé par du gaz ou de l’hydrogène. « Il n’y a pas, aujourd’hui, de modèle économique pour le DRI », expliquait Alain Le Grix, le président d’ArcelorMittal en France.

Et le problème ne se pose pas qu’en France. ArcelorMittal vient juste d’annoncer avoir renoncé à convertir deux usines en Allemagne à l’hydrogène vert en raison des coûts exorbitants. L’hydrogène vert se trouve aujourd’hui face à un problème insoluble de poule et d’œuf. Pour que les coûts baissent et deviennent acceptables pour les industriels, il faut que de nombreux projets soient déployés. Mais tant qu’ils ne sont pas déployés, les coûts sont trop élevés pour convaincre des acheteurs… ce qui ne permet pas de lancer les projets.

« L’analyse de rentabilité de l’acier vert n’existe pas en Europe »

Le gouvernement allemand avait pourtant promis des subventions de près de 1,5 milliard d’euros à ArcelorMittal mais cela n’a pas suffi. « Les premiers fours à arc électrique sont construits dans des pays qui peuvent offrir un approvisionnement en électricité compétitif et prévisible », a déclaré ArcelorMittal, cité par l’agence Reuters. « Les prix de l’électricité en Allemagne sont élevés à la fois par rapport aux normes internationales et par rapport aux pays voisins ».

Le groupe allemand ThyssenKrupp maintient lui pour le moment ses projets en matière d’acier vert tout en soulignant l’ampleur de la « crise » que traverse la sidérurgie européenne. Son concurrent ThyssenKrupp a annoncé à la fin de l’année dernière le licenciement de 40% de ses effectifs et la réduction d’un quart de ses capacités de production, a rapporté le Financial Times.

« L’analyse de rentabilité de l’acier vert n’existe pas en Europe », résume, toujours au Financial Times, Alex Eggert, le directeur d’Eurofer, l’association de l’industrie sidérurgique de l’Union Européenne (UE). Certains groupes ont encore quelques espoirs pour l’avenir ajoute-t-il, mais d’autres ont déjà abandonné en estimant que face à une crise existentielle « ils n’ont pas le temps pour ça ».

Contradiction et incohérence

L’UE se trouve face à une contradiction et une incohérence dont elle est coutumière. Elle s’est engagée à dépenser des milliards d’euros pour son réarmement. L’acier est un élément essentiel dans la production des armes et des munitions dont l’UE manque pour faire face à la menace russe. Mais l’Europe ne veut pas n’importe quel acier, elle veut de l’acier vert. Sauf qu’il est si cher et si peu compétitif que les sidérurgistes européens, confrontés déjà aux importations chinoises bon marché, hésitent de plus en plus à franchir le pas et renoncent aux projets annoncés ou dans le meilleur des cas les retardent. Et l’Europe n’a pas vraiment le temps ni les moyens de subventionner à outrance une filière entière comme la sidérurgie. L’Union a déclaré très clairement qu’elle avait l’intention de construire beaucoup d’armement et de munitions qui nécessitent de l’acier pour reconstituer ses réserves épuisées après avoir envoyé la majeure partie de ses maigres stocks en Ukraine.

Et puis l’acier ne se résume pas à l’industrie de défense. Il est également essentiel dans la construction et dans une myriade d’autres industries allant jusqu’à l’installation des éoliennes. L’Europe a besoin de beaucoup d’acier et souhaite réduire sa dépendance à l’égard des importations en produisant davantage d’acier localement. Mais elle n’y arrivera jamais en essayant de faire en même temps deux choses qui s’excluent mutuellement.

Et l’industrie sidérurgique a déjà fait son choix. Elle donne la priorité à l’accessibilité à une énergie abordable… pour survivre. L’Europe doit choisir, ce qu’elle n’aime pas faire du tout, entre le réarmement et le net zéro.

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