Après l’offensive surprise lancée par Israël sur la République islamique d’Iran, les marchés pétroliers se sont emballés… comme toujours. Les cours du pétrole ont bondi un temps de plus de 12% avec ce mélange de craintes légitimes et de spéculations qui caractérisent le marché pétrolier depuis des décennies. Les cours du baril, qui étaient très bas depuis plusieurs mois, n’ont finalement même pas regagné 5% en cinq jours entre le 13 juin et le mardi 17 juin où ils se situaient en début de journée autour de 72 dollars pour le WTI et 73 dollars pour la qualité Brent.
Vendredi 13 juin juste après l’offensive israélienne, les réactions sur le marché étaient en fait partagées entre le sentiment d’avoir déjà connu cela et une véritable inquiétude. Dans les premières heures, le Brent a même atteint près de 80 dollars le baril et les traders les plus courageux ont alors utilisé la hausse comme une opportunité de vente fructueuse. Mais sur le marché des options, où les opérateurs achètent et vendent des assurances contre les fluctuations brutales des cours, nombreux sont ceux qui ont alors acheté des contrats qui rapporteront beaucoup d’argent si les prix du pétrole dépassent les 100 dollars le baril. Ils vont devoir patienter…
Un marché pétrolier en surproduction structurelle
Car le risque d’un choc pétrolier majeur au Moyen-Orient reste limité. Le marché pétrolier mondial est plutôt menacé aujourd’hui par la surproduction que par la pénurie et la seule absence des barils iraniens vendus en contrebande aux raffineurs chinois n’est pas à même de déséquilibrer le marché. Quant au risque de blocage du détroit d’Ormuz par l’armée iranienne, le point de passage de 20 millions de barils par jour, 20% de l’approvisionnement mondial en pétrole, il reviendrait pour un pays affaibli et sous le feu à provoquer une réaction des occidentaux et notamment des Américains et le mécontentement également des Chinois et des pays du Golfe. Un suicide…
En fait, les spéculateurs, qui parient depuis plusieurs années sur un nouveau choc pétrolier, jouent de malchance. Depuis deux ans, le Moyen-Orient est secoué par des événements impensables, notamment la succession d’attaques directes entre Israël et l’Iran. Mais pas un seul baril de pétrole n’a pour l’instant été perdu. Avec le recul, chaque hausse du prix du pétrole s’est même en fait révélée être une occasion de vendre. « Il faut des nerfs d’acier, mais la vente à découvert du brut tandis que les bombes et les missiles volaient a été une opération gagnante à chaque fois », écrit la très sérieuse agence Bloomberg.
Les stocks mondiaux élevés
La situation pourrait bien être la même aujourd’hui tandis qu’Israël a lancé une attaque de grande envergure contre l’Iran, notamment contre ses installations militaires et nucléaires, et que Téhéran a répliqué par des volées de missiles balistiques sur les villes israéliennes.
Au milieu du brouillard de la guerre, les barils iraniens continuent à sortir de terre. La production iranienne de 3,3 millions de barils par jour et les exportations d’environ 1,7 million de barils par jour n’ont pas été stoppées. Et surtout, même si cela était le cas, ils ne manqueraient pas immédiatement. Il y a encore trop de pétrole sur le marché physique et les prix, sur la seule base des fondamentaux actuels de l’offre et de la demande, devraient plutôt baisser.
Il est bien sûr presque impossible de connaître en temps réel les niveaux exacts de l’offre et de la demande mondiale de pétrole. Mais il existe un indicateur fiable : les stocks mondiaux. Depuis plusieurs mois, ceux-ci dépassent les normes saisonnières, ce qui est un signe indéniable de surabondance de l’offre.
En plus, l’Arabie saoudite ayant poussé le cartel de l’OPEP+ à augmenter sa production plus rapidement que prévu et la croissance de la demande de pétrole ralentissant, le déséquilibre ne peut que grandir au fil du temps. L’été dans l’hémisphère nord, qui apporte un soutien saisonnier à la demande, est le dernier obstacle avant que la surabondance de pétrole ne devienne clairement évidente. L’attaque israélienne n’a pour l’instant rien changé à cette réalité. Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie, l’a résumé quelques heures après les premières frappes : « les marchés sont bien approvisionnés aujourd’hui ».
Donald Trump est « allergique » aux prix élevés de l’énergie
En outre, du côté de la demande, les incertitudes géopolitiques sont mauvaises pour l’activité économique, et la croissance de la demande de pétrole pourrait donc ralentir un peu plus.
Pour en revenir à l’offre, la hausse des cours depuis quelques jours offre aussi aux producteurs de pétrole de schiste américains, dont les prix de revient sont élevés, une occasion inespérée de se couvrir sur les marchés à terme contre un recul éventuel des cours et donc de produire plus qu’ils ne l’auraient fait.
Tout cela ne signifie pas qu’il ne se passera rien susceptible de déséquilibrer soudain les échanges pétroliers. Si deux années de guerre n’ont pas perturbé le marché pétrolier physique, tout reste évidemment possible, notamment au Moyen-Orient. Fin juillet 1990, le marché mondial du pétrole semblait largement excédentaire. Une semaine plus tard, l’Irak de Saddam Hussein envahissait le Koweït et l’économie mondiale subissait un choc pétrolier de grande ampleur.
Enfin, Israël n’a pas pris pour cible les installations pétrolières iraniennes liées à la production et aux exportations. Il s’en est pris jusqu’à présent au marché intérieur, les installations gazières qui alimentent le pays et les dépôts et raffineries dédiés à la consommation intérieure. Pour l’heure, « les installations pétrolières et gazières touchées en Iran semblent davantage axées sur l’approvisionnement du pays, plutôt que sur le marché d’exportation », confirme Michael Wan, de la banque MUFG. L’aviation israélienne a pour le moment épargné les installations de l’île de Kharg (voir la photographie ci-dessus) par lesquelles transitent 90% des exportations de pétrole iraniennes. Le terminal de Kharg peut accueillir jusqu’à 8 pétroliers simultanément et dispose d’une capacité de stockage de 28 millions de barils. Si Israël ne l’a pas attaqué, il y a une raison évidente à cela : Donald Trump est particulièrement « allergique » aux prix élevés de l’énergie.
Le risque avec un régime aux abois
Téhéran a par ailleurs repris ses menaces habituelles d’incendier les champs pétroliers saoudiens et surtout de fermer le détroit d’Ormuz. Mais entre la rhétorique et le passage à l’acte, il y a un monde.
Le risque les plus important pour le marché pétrolier provient sans doute de la faiblesse et la fragilité du régime islamique iranien qu’il est difficile de mesurer. Si les mollahs sont acculés, ils pourraient choisir la politique du pire et de la terre brûlée, ce qui jusqu’à aujourd’hui n’a jamais été leur marque de fabrique. Ce sont des joueurs d’échec… qui jusqu’au 7 octobre 2023 avaient multiplié les coûts gagnants.