<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Se passer totalement du gaz russe, le plus dur est à venir

9 mai 2025

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : L'usine de liquefaction de gaz de Yamal
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Se passer totalement du gaz russe, le plus dur est à venir

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L’Union Européenne ne veut plus « dépendre d'une puissance hostile pour son approvisionnement en énergie » selon les propres mots de la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Elle veut réussir à ne plus acheter le moindre mètre cube de gaz russe d’ici la fin de l’année 2027. Une intention qui n’est pas contestable en soi mais se heurte aux réalités du marché mondial du gaz et plus particulièrement du marché du GNL (Gaz naturel liquéfié). Elle se heurte aussi aux oppositions internes à l’Union de pays qui refusent à payer toujours plus chère leur énergie. L’équation du dilemme énergétique européen.

En matière énergétique, la Commission européenne prend souvent ses désirs pour la réalité. Elle a pris la mauvaise habitude d’imposer aux pays de l’Union des objectifs impossibles à atteindre sans vraiment prendre en compte les réalités économiques, technologiques, sociales et politiques. Elle nourrit ainsi la défiance envers les politiques de transition énergétique et les institutions européennes obnubilées par les effets d’annonce, pas par les résultats concrets. Malheureusement, les exemples pullulent.

On peut citer pêle-mêle, les ambitions irréalistes de réduction à marches forcées des émissions de gaz à effet de serre, de création ex nihilo d’une économie de l’hydrogène vert, ou de substitution par magie et en quelques années des véhicules à moteur thermique par ceux à motorisation 100% électrique. A chaque fois, les conséquences de ses politiques sont désastreuses, pour la compétitivité de l’Union (UE) et pour son industrie. On peut craindre que la feuille de route annoncée par la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le 6 mai dernier pour mettre fin totalement aux importations de gaz russe d’ici 2027 connaisse un sort similaire.

200 milliards d’euros dépensés depuis trois ans pour acheter du gaz russe

Ne plus « dépendre d’une puissance hostile pour notre approvisionnement en énergie », selon les propres mots d’Ursula von der Leyen, n’est évidemment pas contestable en soi. Un constat encore plus glaçant quand il est fait par le commissaire européen à l’Énergie, le Danois Dan Jorgensen. « Depuis février 2022, nous avons acheté du gaz russe pour un montant supérieur à la somme d’argent que nous avons donnée en aide à l’Ukraine. » Depuis un peu plus de trois ans, les Européens ont acheté pour environ 200 milliards d’euros d’énergie à la Russie et apporté un peu plus de 130 milliards d’euros à l’Ukraine.

Maintenant, le problème est de savoir s’il est techniquement et économiquement faisable en l’espace de deux ans et demi de se passer totalement du gaz russe. La feuille de route de la Commission sous-estime deux contraintes majeures.

La première est la dépendance persistante de bon nombre de pays de l’Union aux importations de gaz. Il semble presque impossible qu’elles continuent à baisser comme elles l’ont fait depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Et la seconde tient aux réalités économiques et techniques du marché mondial du GNL (Gaz naturel liquéfié), le seul substitut possible au gaz russe. A condition en outre, que ce ne soit pas du GNL russe…

Les Etats-Unis et le Qatar ne produiront pas suffisamment de GNL avant la fin de la décennie

Indépendamment des prix élevés du GNL qui sont un handicap majeur de compétitivité pour l’UE, la production des pays exportateurs autres que la Russie (les Etats-Unis et le Qatar essentiellement) est aujourd’hui insuffisante pour satisfaire les besoins de gaz de l’Europe même s’ils ont beaucoup baissé. Il faudra attendre que des investissements de capacités en cours aux Etats-Unis comme au Qatar et aussi en Afrique soient achevés d’ici la fin de la décennie.

En trois ans, l’UE a accompli deux choses. Elle a réduit considérablement la part des importations de gaz russe de 45% en 2021 à 19% en 2024. Et dans le même temps, elle a aussi fortement diminué ses importations combinées de gaz par gazoduc et de GNL de 18% tout simplement parce que sa consommation de gaz a chuté de 20% comme le montre les chiffres de l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA). Mais le plus difficile commence maintenant.

Envolée des prix de l’énergie et désindustrialisation

La diminution de la consommation de gaz naturel a surtout été le résultat de l’envolée des prix et de la désindustrialisation. Avec la stabilisation des cours du gaz en 2024, les importations de gaz russe par gazoduc et surtout de GNL ont d’ailleurs augmenté à nouveau de 19,5%. Et la France, a donné le mauvais exemple. Ces importations de GNL russe, toujours selon les chiffres de l’IEEFA, se sont envolées de 81% entre 2023 et 2024, et ont représenté un montant de 2,68 milliards d’euros. Si l’Europe est bien passée massivement au GNL, c’est donc pour partie du GNL russe… Il a représenté 20% des importations de GNL de l’UE en 2024 pour 20 milliards de mètres cubes, derrière les Etats-Unis (45%).

La feuille de route de la Commission se décline en deux étapes. Interdire la signature de tout nouveau contrat et tout contrat court (spot) avec des entreprises gazières russes d’ici la fin de l’année 2025. Puis mettre fin aux importations existantes d’ici fin 2027. Mais il faudra trouver des solutions économiquement acceptables pour plusieurs pays européens encore très dépendants du gaz russe. C’est le cas, par exemple, de la Slovaquie et de l’Autriche dont respectivement 89% et 97% des importations de gaz en 2023 provenaient de Russie. La fermeture définitive le 31 décembre dernier du dernier gazoduc amenant le gaz russe via l’Ukraine, qui représentait 14 milliards de mètres cubes, les a mis dans une situation déjà très difficile.

Une unanimité des 27 presque impossible

Le texte de la Commission doit être désormais adopté et négocié au Parlement européen et par les Etats membres. Mais l’unanimité des 27 est très loin d’être acquise. La Commission devrait se heurter à des oppositions de pays qui restent proches de Moscou, à commencer évidemment par la Hongrie. D’autres pays s’inquiètent aussi de l’existence immédiate de ressources de substitution et de leurs coûts. On peut parler de véritable dilemme énergétique européen.

Ce n’est pas pour rien si certains géants l’industrie pétrolière et gazière ont évoqué avec insistance la réouverture partielle de gazoducs avec la Russie, notamment de l’un des deux NordStream qui ont été sabotés, pour éviter une envolée des prix.

Le lobby NordStream

Patrick Pouyanné, le Pdg de TotalEnergies, expliquait ainsi il y a deux mois : « je ne serais pas surpris que deux des quatre gazoducs (soient) remis en service, pas quatre sur quatre ». Pour Patrick Pouyanné, l’industrie européenne n’a tout simplement aucune chance d’être compétitive sans un certain niveau d’approvisionnement en gaz russe par gazoducs qui permet de le payer à des prix nettement moins élevés que le GNL. Il a encore ajouté plus récemment à l’agence Reuters : « nous devons diversifier nos sources d’approvisionnement, emprunter de nombreuses routes et ne pas nous reposer sur une ou deux d’entre elles… L’Europe ne reviendra jamais à importer 150 milliards de mètres cubes de Russie comme avant la guerre… mais je parierais peut-être sur 70 milliards de mètres cubes ». Un sentiment partagé par Didier Holleaux, vice-président exécutif de Engie, qui estime également que « si l’Ukraine connaît une paix raisonnable, nous pourrions revenir à des flux de 60 milliards de mètres cubes, voire 70, par an, y compris pour le GNL »… avec la Russie.

Patrick Pouyanné, toujours lui, a aussi averti que si des sanctions venaient à frapper le champ gazier Yamal en Sibérie qui produit du GNL, dans lequel le groupe détient une participation de 20%, « le prix du GNL grimpera rapidement…  les dirigeants européens ne souhaitent pas revivre une nouvelle crise des prix en Europe ».

Se lier plus étroitement aux Etats-Unis et au Qatar…

Et puis se posent également de sérieux problèmes juridiques sur la façon de casser les contrats existants de fourniture de gaz russe et notamment de GNL signés avec Shell, TotalEnergies, SEFE et Naturgy

Il y a bien les solutions d’augmentations des importations américaines et qataris, mais elles sont aujourd’hui avant tout théoriques. Début avril, Donald Trump a demandé aux Européens d’acheter massivement de l’énergie aux Etats-Unis, à hauteur de 350 milliards de dollars, pour éviter une guerre commerciale. C’est aujourd’hui une vue de l’esprit. Au-delà du risque politique lié à une dépendance énergétique accrue envers l’Amérique de Trump, techniquement les Etats-Unis ne sont pas capables de fournir des quantités suffisantes avant de nombreuses années. Il faut des investissements massifs dans leur production de gaz de schiste et surtout dans des gazoducs et des terminaux pour amener le gaz vers les ports et le liquéfier. Il y a aussi la solution de se tourner vers le Qatar. Mais l’émirat exige des contrats de très long terme (près d’une trentaine d’années) pour rentabiliser ses investissements dans des capacités supplémentaires. Des contrats en contradiction totale avec les objectifs de décarbonation affichés par l’Union Européenne…

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