Transitions & Energies
Partie du Soleil NASA

Les zones d’ombre du photovoltaïque


Si l’avenir de l’énergie solaire semble assuré, il ne s’agit pas pour autant d’une solution miracle. Elle a de sérieux points faibles. Ils ont pour nom : l’intermittence, la faible intensité d’une énergie qui nécessite d’occuper de grandes surfaces, les difficultés techniques et économiques du stockage de l’électricité, les contraintes liées au niveau d’ensoleillement et les matières premières nécessaires à la fabrication des panneaux sans parler des problèmes posés par leur recyclage.

La magie apparente du solaire photovoltaïque ne doit pas masquer plusieurs limitations qui expliquent, pour une part importante, la lenteur de son développement. On peut classer ces obstacles en deux catégories : les irréductibles et les technologiques. Les premières proviennent de la nature même de l’énergie solaire et il n’est d’autre solution que de s’y adapter. Les secondes sont liées aux matériaux mis en œuvre pour la capter et l’exploiter et elles offrent des marges de progrès et des perspectives d’amélioration.

PLUS INTERMITTENT QUE L’ÉOLIEN. Le solaire est, avant tout, la source d’énergie renouvelable la plus intermittente. Son principal défaut.  À lui seul, le photovoltaïque ne peut fournir de l’électricité que pendant les heures du jour. Difficile d’imaginer se passer de courant pendant la nuit…La conversion du solaire en courant électrique varie également en fonction de la couverture nuageuse. Ainsi, la durée d’ensoleillement maximal atteint environ quatre heures par jour en France métropolitaine, contre près de cinq heures en Corse et dans les territoires d’outre-mer. Les performances des capteurs solaires sont également affectées par l’heure du jour. Les rayons sont les plus efficaces lorsque le soleil est à son zénith, c’est-à-dire à la mi-journée. Leur énergie diminue le matin et le soir en raison de leur inclinaison qui augmente la distance parcourue et modifie l’angle d’incidence sur les capteurs. Ce phénomène peut être atténué par un système de suivi qui adapte la position des panneaux en fonction de celle du soleil afin de conserver plus longtemps un angle optimal. De quoi limiter également l’impact de la saisonnalité avec un gain de 20 % en hiver et de 50 % en été. Dans un pays comme l’Allemagne, la production photovoltaïque est six fois plus importante pendant les mois d’été que pendant l’hiver.

Globalement, le solaire apparaît ainsi plus intermittent que l’éolien. À titre de comparaison, les éoliennes fonctionnent environ seize heures par jour en moyenne et elles produisent leur pleine puissance entre quatre et 9,5 heures par jour en France. On peut remarquer que les périodes de production du solaire et de l’éolien ne sont pas forcément les mêmes. Le vent peut souffler la nuit et lorsque le ciel est nuageux tandis qu’il peut s’interrompre les jours de fort ensoleillement. D’où l’intérêt d’associer l’exploitation du soleil et du vent.

Peu de régions dans le monde bénéficient de moyennes d’ensoleillement pouvant atteindre de dix à près de douze heures par jour. Parmi elles, on trouve le nord de l’Afrique et le Moyen-Orient (Sahara, Sinaï, déserts de Syrie, d’Irak, d’Iran, d’Inde, d’Afghanistan et du Pakistan, sud d’Israël), l’Afrique du Sud, une partie de l’Amérique du Nord (Californie, Nevada, Arizona, Texas, aux États-Unis) et de l’Amérique du Sud (Mexique et le désert d’Atacama au Chili) ainsi que l’intérieur de l’Australie.

LA PRODUCTION EST FORTE QUAND LA DEMANDE EST FAIBLE. Dans la plupart des régions du monde, le plus souvent, les pics de production du solaire correspondent aux moments où l’on a le moins besoin d’électricité. Une critique justifiée qui définit certaines bornes à l’exploitation de cette source d’énergie. La seule solution pour pallier cette limitation intrinsèque réside dans le stockage intermédiaire de l’électricité. Cela permet d’utiliser la nuit ou les jours nuageux l’excédent d’énergie reçue aux moments d’ensoleillement maximal. Le moyen le plus courant est de faire appel à des batteries. Mais leur coût grève lourdement celui de l’installation et induit des problèmes de recyclage. Une nouvelle option, encore peu exploitée, consiste à produire de l’hydrogène avec l’excédent d’électricité solaire et de le transformer en électricité via une pile à combustible. L’intérêt de cette solution dépend, là aussi, du surcoût induit par la solution de stockage.

À la variabilité de la durée d’ensoleillement s’ajoute celle de l’intensité du rayonnement solaire. Là encore, les régions privilégiées sont situées dans une bande allant du sud de la France au sud de l’Afrique. Ainsi, une installation solaire de1 kW produira chaque année 900 kWh en Norvège, 1 250kWh à Perpignan et 2 900 kWh en Australie.

Ces aléas climatiques, météorologiques et géographiques auxquels il faut donc s’adapter sont aggravés par des limitations moins définitives. Avec des perspectives d’amélioration grâce aux progrès technologiques. Ainsi, la durée de vie des panneaux photovoltaïques est aujourd’hui fixée entre vingt et trente ans. Jusqu’à douze ans, ils produisent au moins 90 % de leur puissance nominale et 80 % jusqu’à vingt-cinq ans. Ce vieillissement est lié aux matériaux utilisés dont les performances se dégradent avec le temps d’exposition au soleil. Il peut donc augmenter dans l’avenir avec le recours à de nouveaux types de capteurs.

SIX CENTRALES SOLAIRES GÉANTES POUR REMPLACER FESSENHEIM ! Une autre caractéristique des cellules solaires affecte leur efficacité quel que soit leur âge : l’impact de la température de surface. Au-delà de 25 °C, les panneaux photovoltaïques perdent 0,4 % de rendement par degré supplémentaire. Un phénomène qui peut fortement affecter l’efficacité dans les régions les plus chaudes où la température ambiante peut atteindre 40 voire 50°C.D’où l’importance de ménager une circulation d’air à l’arrière des panneaux, voire de les doter d’un refroidissement par un circuit d’eau qui permet d’augmenter de 5 à 15 % la production d’énergie électrique. Un surcoût qui peut se révéler ainsi rentable. D’autant que le réchauffement climatique aggrave les pertes engendrées par la chaleur.

L’ensemble des limitations qui affectent la transformation de la lumière solaire en électricité se résume par ce que l’on nomme le « facteur de charge ». Il s’agit du rapport entre la production maximale théorique et la production effective. Pour l’électricité photovoltaïque, il varie de 11 % en Grande-Bretagne à 26 % aux États-Unis. Ces chiffres classent les panneaux solaires en queue de classement des différents modes de production d’électricité, très loin derrière le nucléaire qui peut atteindre jusqu’à 80 à 90 % de facteur de charge.

Un tel constat induit une limitation de chacune des centrales solaires photovoltaïques actuelles à des productions effectives relativement faibles. Ainsi, la plus importante installation à ce jour a été progressivement mise en service de puis 2017 en Inde, à Pavagada taluk situé à environ 180 km de Bangalore. La centrale s’étend sur une surface de 53 km2 et affiche une puissance nominale prévue de 2 050 MW pour un coût de 2,1 milliards de dollars. La capacité installée devait atteindre les 1 850 MW fin 2019. Ce qui la place, pour l’instant, à la première place mondiale.

On peut noter que cette capacité est pratiquement la même que celle de la centrale de Fessenheim, ce qui permetde réaliser quelques comparaisons instructives. Le premier réacteur de la doyenne des centrales nucléaires françaises a été arrêté le 22 février 2020 et le second doit l’être cet été. Avecune puissance installée de 1 840 MW, la centrale alsacienne disposait d’une production théorique de 16 TWh par an. En2018, elle a produit 11,9 TWh, soit un facteur de charge d’environ 75 %.

En Inde, le Pavagada Solar Park devrait produire 3,2 TWh par an du fait d’un facteur de charge de 20 %. Soit un peu plus du quart de la production de Fessenheim. Il faudrait donc quatre centrales solaires de la taille de celle de Pa-vagada pour atteindre la production de la centrale alsacienne. Et ceci, en Inde. En Alsace, le facteur de charge du solaire n’est que de 13%. Il faudrait donc n’y installer pas moins de six centrales de la taille de celle de Pavagada pour compenser l’arrêt de Fessenheim…

La France a lancé un appel d’offre pour l’installation de300 MW de panneaux photovoltaïques sur le territoire de Fessenheim. De quoi produire 338 GWh d’électricité par an, soit 35 fois moins que la centrale nucléaire. C’est dire si le passage du nucléaire au solaire bouleverse les échelles. D’un côté, la fission atomique permet de centraliser la production d’électricité sur des surfaces très réduites avec une grande maîtrise de sa régularité. De l’autre, la captation de l’énergie solaire impose de très grandes étendues de capteurs et la gestion d’une grande irrégularité de la production. Deux options apparaissent. D’abord la construction de grandes centrales solaires comme celle qu’Engie a inauguré en 2017 à Gréoux-les-Bains avec 300 000 panneaux solaires sur 180 hectares pour une puissance installée de 85 MW et une production annoncée de 128 GWh par an. Le groupe prévoit de porter sa capacité en solaire de 900 MW à 2,2 GW en 2021.

Le gouvernement a lancé deux appels d’offres en 2019 pour des projets photovoltaïques en 2020 de 850 et 1000 MW. S’y ajoutent 300 MW pour des projets du bâtiment, c’est-à-dire la seconde solution : exploiter les toitures existantes ou nouvelles pour implanter des capteurs solaires. Car c’est l’un des avantages majeurs du photovoltaïque. Contrairement au nucléaire, il peut se loger dans de très nombreux lieux et sur les habitations elles-mêmes.

LA DIFFICULTÉ D’UN DÉPLOIEMENT MASSIF. Le principal problème du solaire réside donc dans son déploiement massif afin qu’il assure une part substantielle de la production d’électricité. Cette question prend le pas sur d’autres interrogations comme le délai de restitution par les panneaux de l’énergie nécessaire à leur fabrication ou, même, le problème du recyclage des cellules solaires qui impose la création d’une véritable filière spécialisée. Avant tout, l’exploitation du solaire conduit à repenser en profondeur la conception et l’organisation de la production d’électricité. Du modèle centralisé et régulier du nucléaire à un déploiement décentralisé et un fonctionnement intermittent du solaire. Une profonde révolution.

Michel Alberganti

La rédaction