Transitions & Energies
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Les progrès du transport maritime, lents et incertains


Si depuis le début de l’année, avec de nouvelles normes sur les quantités de souffre dans le fuel lourd, le transport maritime est devenu moins polluant, il n’est pas prêt de pouvoir se passer de carburants fossiles. Les technologies de substitution, comme l’hydrogène, sont balbutiantes. Et entre l’effondrement des prix du pétrole et des échanges internationaux à la suite de la pandémie, les armateurs ne vont pas investir dans de nouveaux navires et de nouvelles motorisations.

Le transport maritime assure près de 90% des échanges mondiaux de marchandises et 78% des importations françaises. La quasi totalité des navires utilise un carburant particulièrement polluant, le fuel lourd. Comme son nom l’indique, il est épais aussi incommodant que de la suie, émet des gaz à effet de serre et deux polluants à l’origine de maladies respiratoires, l’oxyde de soufre et l’oxyde d’azote.

Le transport maritime émet à lui seul, et selon les différents calculs, de 5 à 13% des oxydes de soufre dans le monde et de 15 à 30%  des oxydes d’azote. Les émissions d’oxyde de soufre devraient toutefois diminuer fortement cette année et pas seulement parce que la pandémie de coronavirus a réduit considérablement le commerce international. L’Organisation maritime internationale (OMI), une institution des Nations Unies, a instauré depuis le 1er janvier une limite de soufre à 0,5% dans le carburant maritime contre 3,5% auparavant. La nouvelle régulation donne deux possibilités pour s’y conformer. Soit les navires doivent utiliser un fuel lourd contenant pas plus de 0,5% de soufre, soit ils doivent installer des épurateurs de gaz d’échappement.

Comme l’explique l’agence Bloomberg, les populations qui vivent à proximité des grands ports et des voies de transport maritime vont voir immédiatement les bénéfices de l’entrée en vigueur de la nouvelle législation en terme de santé. «Cela va réduire la quantité de dioxyde de soufre provenant des navires de 75%». Et selon une étude publiée par la revue Nature en 2018, réalisée par des chercheurs américains et l’Institut de météorologie de Finlande, cela va faire diminuer de façon dramatique les morts prématurées liées  aux émissions du transport maritime.

Un effet paradoxalement néfaste pour le climat

Les bénéfices pour la santé des populations seront visibles avant tout dans les régions côtières densément peuplées le long des routes maritimes et autour des grands ports d’Asie, notamment en Chine et en Inde. Les personnes qui vivent sur les côtes aux Etats-Unis et en Europe ne verront pas de différence puisque ses régions ont déjà imposé des limites bien plus strictes de soufre dans le fuel lourd, de 0,1%.

Mais la contradiction, impossible à surmonter, est que l’amélioration indéniable de la santé des populations, à la fois avec les nouvelles normes et les conséquences économiques de la pandémie, aura un coût environnemental. Il aggravera l’impact du transport maritime sur le climat. Tout cela parce que le soufre provenant des échappements des gigantesques moteurs diesel des navires a un effet «refroidissant» sur l’atmosphère. Et il va disparaitre… Le dioxyde de soufre répandu dans l’atmosphère rend les nuages plus brillants et ils réfléchissent ainsi de façon plus importante les rayons du soleil et donc contribuent à réduire les températures au sol.

Mikhail Sofiev, l’un des auteurs de l’étude publiée par Nature, explique ce phénomène ainsi: «les nuages constituées de nombreuses fines gouttelettes sont plus blancs que ceux constitués d’un plus petit nombre de grandes gouttelettes. Les particules de dioxyde de soufre sont petites et nombreuses. Elles attirent l’eau et accélèrent la formation de nombreux petits nuages formés de petites gouttelettes et nous avons ainsi des nuages dont le sommet est très blanc… ». L’impact de l’élimination du dioxyde de souffre ne sera pas négligeable. Il devrait augmenter le réchauffement lié à l’activité humaine de 3,8%!

Comment réduire les émissions de CO2

Pour compenser, la meilleure solution est que le transport maritime diminue ses émissions de CO2. Ce qui ne s’annonce pas comme une tâche facile, car la technologie est encore balbutiante pour remplacer sur des navires de grande taille les puissants moteurs diesels par des moteurs fonctionnant au gaz naturel ou mieux encore à l’hydrogène. Et la baisse spectaculaire depuis le début de l’année des prix du pétrole et donc de celui du fuel lourd ne va pas accélérer, bien au contraire, la transition.

Selon les estimations de l’OMI, en 2012, le transport maritime représentait 2,2% des émissions de gaz à effet de serre, et d’ici 2050 elles pourraient augmenter théoriquement, avant la pandémie et la récession mondiale qui s’en suit, de 50 à 250%. En 2018, l’organisation internationale a adopté une stratégie pour réduire les émissions «d’au moins 40% d’ici 2030 et de poursuivre les efforts pour les réduire de 70% d’ici 2050 en comparaison de 2008». Un des moyens les plus faciles à utiliser pour y parvenir consiste déjà  à réduire la consommation des navires à la fois en introduisant des limites de vitesse et des limites de puissance des machines.

GNL et un jour hydrogène

Les deux autres possibilités techniques sont de remplacer progressivement le fuel lourd comme carburant par du gaz naturel moins polluant ou par de l’hydrogène. Le premier armateur français, CGM-CMA, donne l’exemple dans le domaine des navires fonctionnant au gaz naturel liquéfié (GNL). Il a commandé neuf porte-conteneurs géants fonctionnant avec ce carburant. Le premier d’entre eux a été mis à l’eau dans un chantier naval chinois il y a un peu plus de six mois.

Mais dans le monde, très peu de navires fonctionnent aujourd’hui au GNL et CGM-CMA est une exception parmi les grands armateurs. Le gaz naturel permet pourtant de réduire de 99% les émissions d’oxydes de soufre et de particules fines, de 85% les émissions d’oxydes d’azote et de 25% les émissions de CO2. Mais il entraîne un surcoût de 15 à 20% et les chaînes d’approvisionnement dans les ports avec les fournisseurs de gaz liquéfié sont encore insuffisantes.

Concernant l’hydrogène, la filière commence à prendre forme, notamment en Europe et en France. Ainsi, Le géant de l’électrotechnique Suisse et Suédois ABB vient de conclure un partenariat avec la très prometteuse jeune société bordelaise Hydrogène de France (HDF Energy) pour fabriquer conjointement des systèmes de piles à combustible de grande puissance capables d’alimenter des navires de haute mer.

En avril 2019, ABB a conclu un autre partenariat avec le chantier naval norvégien Fiskerstrand et le laboratoire océanique SINTEF Ocean de Trondheim pour évaluer comment les piles à combustible et les batteries peuvent fonctionner ensemble au mieux pour les opérations de ferry de courte distance. La Norvège a décidé d’interdire à partir de 2030 les fjords du pays aux navires à moteurs thermiques.

La technologie hydrogène n’est pas encore adaptée aux longues distances, car le stockage de l’hydrogène dans des réservoirs sous pression prend trop de place sur les navires par rapport au fuel lourd. Mais le tandem moteur électrique et pile à combustible alimenté par de l’hydrogène semble aujourd’hui la solution la plus prometteuse pour se passer un jour des carburants fossiles. Surtout, si le stockage de l’hydrogène peut se faire un jour sous forme solide. Mais il faudra encore de nombreuses années pour rendre cette technologie opérationnelle et plus encore compétitive.

Cela risque de prendre d’autant plus de temps, que le coup d’arrêt à la mondialisation des échanges infligé par la pandémie ne va pas inciter des groupes maritimes, en difficulté financière, à investir dans de nouveaux navires et de nouvelles motorisations…

La rédaction