Transitions & Energies
barrage de la Grande Dixence, dans les Alpes valaisannes wikimedia commons

Transition: depuis des années des choix technologiques contestables et arbitraires


Quand les décideurs politiques imposent les technologies de la transition, c’est souvent pour de mauvaises raisons. Article publié dans le numéro 13 du magazine Transitions & Energies.
Par Léon Thau

En matière d’énergie, technocrates et politiques font depuis des années une erreur majeure. Ils établissent, c’est leur prérogative, le cadre et la stratégie à suivre pour mener la transition énergétique. Mais au lieu de donner des objectifs à réaliser aux entreprises, aux ingénieurs, aux scientifiques, ils se croient obligés de leur dicter les technologies à utiliser. Des choix effectués la plupart du temps pour de mauvaises raisons. Pour satisfaire des électorats et des groupes de pression, pour suivre une mode et un modèle étranger, pour répondre aux pressions des lobbys et des intérêts. Résultat, certaines technologies qui permettraient de réduire les émissions de gaz à effet de serre, qui offrent de vrais avantages en terme de souveraineté et dont les coûts peuvent être parfois très compétitifs sont négligées ou rejetées.

Dicter les objectifs… et les solutions techniques

En théorie, la définition de la transition énergétique est simple. Elle consiste à substituer d’autres sources d’énergies, qui émettent moins de gaz à effet de serre, aux carburants fossiles. L’objectif est de réduire les émissions liées aux activités humaines dans des conditions acceptables techniquement, économiquement et socialement. Mais il passe souvent au second plan derrière des intérêts financiers, politiques et idéologiques.

Au lieu de demander à l’industrie d’atteindre des objectifs, on lui dicte les solutions à utiliser qui souvent ne sont pas les meilleures, loin de là. Et la liste est longue : l’empressement à condamner les moteurs thermiques, à généraliser les éoliennes, à marginaliser la géothermie, à ignorer les travaux sur la capture et le stockage du CO2, l’oubli du solaire thermique, de l’hydroélectrique et la multiplication de normes et règlements inflexibles et souvent inapplicables. Les deux crises successives du Covid et de la guerre en Ukraine sont venus illustrer de manière dramatique la non-pertinence de nombreux choix effectués et imposés.

Ainsi, la guerre contre l’énergie nucléaire menée par les partis écologistes n’a en fait rien à voir avec la transition et tout avec la raison d’être originelle de ces mêmes partis… Les partis écologistes en Europe sont nés dans les années 1970 pour combattre le nucléaire. Cette source d’énergie étant la moins carbonée de toutes, ce combat initial est devenu contradictoire avec celui considéré comme vital contre les émissions de gaz à effet de serre. Mais peu importe. Il est difficile pour un mouvement politique d’admettre que son fondement idéologique est à jeter aux oubliettes. Cela ne signifie pas d’ailleurs que l’énergie nucléaire ne présente pas de nombreux inconvénients et problèmes. Mais pas celui d’émettre des gaz à effet de serre.

Confusion entre énergies renouvelables et décarbonées

Il en va de même de la confusion entretenue à dessein entre énergies renouvelables et décarbonées. Les sources d’énergies renouvelables émettent aussi des gaz à effet de serre et parfois dans des quantités non négligeables, à commencer par le solaire (avec la fabrication des panneaux photovoltaïques). Et elles en émettent aussi indirectement quand elles contraignent à maintenir en permanence des capacités de production électriques fossiles que l’on peut activer quand il n’y a pas de vent ou de soleil. Sinon les réseaux électriques s’effondreraient.

Cela ne signifie pas que l’éolien et le solaire ne sont pas utiles à la transition, mais qu’ils présentent des inconvénients qui font qu’ils sont incapables de répondre à de nombreux besoins des sociétés modernes. Et ils le seront tant qu’il n’existera pas des technologies offrant des capacités de stockage de l’électricité à l’échelle des besoins d’un pays ou même d’une grande ville.

On peut multiplier les exemples avec la géothermie, la capture du CO2, rejetée au nom de considérations morales, le solaire thermique, torpillé par les producteurs d’électricité et les distributeurs de gaz, l’hydroélectricité victime d’un arrêt total des investissements…

La géothermie est un cas d’école. Elle est victime en France depuis trente ans d’un véritable ostracisme. Pourtant, qu’il s’agisse d’électricité et surtout de chaleur, c’est une ressource énergétique renouvelable, qui n’émet pas de gaz à effet de serre, qu’il ne faut pas importer et dont les équipements sont extrêmement durables. On a délibérément ignoré le potentiel d’une énergie du sous-sol renouvelable, qui en outre n’a pas le principal inconvénient de l’éolien et du solaire, à savoir l’intermittence. Sa contribution est aujourd’hui inférieure à 1 % de la consommation finale d’énergie… Pourtant, dans le monde et en Europe, la géothermie basse température, qui alimente les réseaux de chaleur, progresse à grands pas. En Suisse, 40 % des logements neufs sont équipés en géothermie. La Suède, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas en ont fait une priorité.

L’hydroélectricité a disparu du paysage

L’arrêt des investissements en France dans l’hydroélectrique est tout aussi difficile à justifier. Le potentiel est encore important. Celui techniquement exploitable s’élève à environ 100 TWh/an dont 70 TWh/an considérés comme économiquement exploitables.Lénergie hydraulique permet de produire des quantités massives d’électricité bas-carbone et d’offrir des possibilités inédites de stockage et de flexibilité d’usage. La plupart des centrales hydroélectriques peuvent ajuster leur production à la hausse ou à la baisse bien plus vite que des centrales nucléaires, à charbon ou au gaz naturel.

La capture du CO2 est un sujet encore plus épineux. Le GIEC, l’Agence internationale de l’énergie, le World Economic Forum, l’Académie des sciences américaine, entre autres, prônent le développement et le recours massif à cette technologie. Pour eux, il ne sera tout simplement pas possible de limiter la présence de CO2 dans l’atmosphère sans capture et stockage des émissions de carbone provenant notamment de l’industrie.

Mais la capture du CO2 fait l’objet d’un rejet sans réels fondements autres qu’idéologiques de la plupart des mouvements écologistes. Du coup, les gouvernements s’en détournent. À tort. Son principal défaut est d’ordre moral. Elle permettrait à l’industrie lourde, aux centrales thermiques et aux pétroliers de poursuivre leurs activités.

Condamner trop tôt le moteur thermique

Le procédé de capture du carbone (CSC pour Carbon Capture and Storage) consiste à piéger ses molécules avant, pendant ou après l’étape de combustion afin d’éviter leur libération dans l’atmosphère. Même si cette technologie doit encore progresser, si les investissements à faire sont considérables et si pour la rendre économiquement viable, le prix du carbone doit fortement augmenter, elle est déjà utilisée depuis cinquante ans… Mais son développement est laborieux. Il y a aujourd’hui en fonctionnement dans le monde une vingtaine de systèmes importants de capture et de stockage du CO2 dans neuf pays, à savoir les États-Unis, le Canada, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Australie, la Chine, le Japon et les Émirats arabes unis. Il existe 84 projets en cours de développement qui devraient entrer en service d’ici 2025. Il en faudrait au moins 2 000 selon l’AIE pour que leur impact soit significatif.

Si la capture du CO2 est une technologie en devenir, celle des véhicules à moteur thermique est appelée à disparaître, mais sans doute bien trop rapidement. La voiture électrique est clairement moins polluante dans les villes que les véhicules thermiques actuels, mais son bilan carbone de sa fabrication à son recyclage n’est pas merveilleux et son développement accéléré se heurte à de nombreux obstacles, l’étendue du réseau de bornes de recharge et plus encore la quantité de matières premières disponibles pour fabriquer les batteries. Des progrès en matière de réduction de consommation des véhicules thermiques, ramenée à moins de trois litres aux 100 km, sont encore tout à fait possibles. Mais à quoi bon.

Généraliser trop rapidement le seul véhicule électrique apparaît d’ores et déjà comme une erreur. Le gain en terme d’émissions de gaz à effet de serre est limité et sur le plan industriel, cela s’annonce catastrophique pour les constructeurs européens fragilisés face à leurs concurrents asiatiques et américains.

La rédaction