Dans la sociologie de la France des Trente Glorieuses et du basculement alors du pays dans la civilisation automobile, les marques avaient indéniablement une dimension politique. Renault, la régie Renault nationalisée après la guerre, avait une identité de gauche, communiste même. Peugeot était la marque de la droite conservatrice. Et Citroën, la marque gaulliste. La DS n’avait-elle pas sauvé le Général de Gaulle lors de l’attentat du Petit Clamart et la Traction n’avait-elle pas incarné la résistance ? Des identités politiques qui se sont estompées au fil du temps et n’existent plus aujourd’hui. Ce n’est pas le cas avec Tesla qui en fait a toujours été une marque politique.
Mais avec des évolutions devenues tellement brutales qu’elles pourraient la mettre en péril. Tesla est ainsi passé en seulement quelques mois de « l’écologie statutaire » à la droite populiste. Affirmation de la bien-pensance écologique et climatique d’une partie de la bourgeoisie, Tesla est aujourd’hui associé au « fasciste » Elon Musk. Pendant longtemps, les acheteurs de Tesla n’étaient pas seulement des automobilistes. Ils étaient bien plus que cela. Ils montraient la voie du progrès et donnaient l’exemple de la lutte contre le réchauffement climatique. Ce n’est pas pour rien si pendant des années Tesla n’a jamais fait de campagne de publicité se contentant du bouche à oreille des clients et de la complaisance des médias pour diffuser la bonne parole d’Elon Musk. Jusqu’à ce qu’Elon Musk entre dans l’arène politique et pas du côté des « élites avant-gardistes » qui achètent ses voitures. Une contradiction qu’il semble aujourd’hui difficile de surmonter. Car si Elon Musk a fait le succès de Tesla, il en est aujourd’hui en grande partie le problème.
Des résultats catastrophiques au premier trimestre
Résultat, les ventes mondiales ont baissé de 13% au premier trimestre par rapport à la même période de 2024, avec 336.681 véhicules livrés (-13% sur un an). Le chiffre d’affaires a atteint, toujours sur les trois premiers mois de l’année, 19,33 milliards de dollars (-9% sur un an), au lieu de 21,1 milliards attendus par les analystes, et le bénéfice net s’est établi à 409 millions (-71%).
Les ventes d’automobile ne représentaient plus que 80%, contre 89% un an auparavant, du chiffre d’affaires de la société. Le recul du chiffre d’affaire a été limité par l’augmentation de 67% à 2,73 milliards de dollars de l’activité dite de « production et de stockage » et de 15% des recettes provenant « des services et autres » qui ont représenté 2,64 milliards de dollars. La dégringolade des performances financières a été aussi limitée par les 595 millions de dollars engrangés grâce à la vente de crédits carbone à d’autres constructeurs automobile.
Elon Musk annonce son « retour »
Face à cette situation, Elon Musk a annoncé mardi 22 avril qu’il allait prendre ses distances dès le mois prochain avec l’administration Trump pour se consacrer davantage à Tesla. « Probablement à partir du mois prochain, de mai, le temps que je vais allouer à Doge va baisser de manière très importante », a indiqué Elon Musk lors d’une audioconférence avec des analystes, faisant référence à la commission pour l’efficacité gouvernementale (Doge) qui sabre dans les dépenses de l’Etat fédéral américain. Il a ajouté « le travail du gouvernement pour remettre de l’ordre dans les finances est en grande partie terminé ».
Cela a permis à l’action Tesla de se reprendre mercredi 23 avril (+5,4%) mais ne règle pas les problèmes de fond. Et puis, la logique des investisseurs est parfois difficile à suivre. Tesla est affecté par le comportement d’Elon Musk… et sera donc sauvé par plus d’Elon Musk… D’autant plus que le mal est profond. Tesla avait déjà vendu moins de voitures en 2024 que l’année précédente. Le constructeur va devoir aussi faire face dans les mois qui viennent à l’impact des droits de douane de 25% imposés aux Etats-Unis sur les importations d’automobiles. Bien que Tesla construise ses voitures commercialisées aux États-Unis dans ses usines du Texas et de Californie, il dépend des pays voisins pour bon nombre de ses composants, notamment du Mexique qui lui fournit plus de 20% de ses pièces. Et puis Tesla est très dépendant du marché chinois et de la production de son usine de Shanghaï qui alimente en partie le marché européen. Le conflit commercial ouvert entre les Etats-Unis et la Chine ne peut qu’affecter Tesla. Mais le principal problème est évidemment la détestation dont fait l’objet maintenant Elon Musk dans une partie de la population aux Etats-Unis, son premier marché, et ailleurs dans le monde. L’action Tesla a ainsi perdu près de 50% depuis la mi-décembre. Le directeur financier Vaibhav Taneja l’a reconnu en expliquant que « le vandalisme et l’hostilité injustifiée envers notre marque et nos employés ont eu un impact sur certains marchés ».
Une cible
Tesla est devenu une cible, en témoignent les dégradations visant ses voitures, ses concessions, ou ses stations de recharge. Les manifestations contre la marque se sont également multipliées outre-Atlantique. Certains automobilistes ont été jusqu’à apposer sur leur voiture un autocollant dont le message a le mérite de la clarté : « J’ai acheté cette voiture avant qu’Elon devienne fou ».
En Californie, le plus grand marché de véhicules électriques des Etats-Unis, la part de marché de Tesla au premier trimestre est tombée à 44% des immatriculations de véhicules à émission zéro dans l’État, contre 56% un an plus tôt, selon l’Association des concessionnaires de voitures neuves de Californie. Les livraisons de Tesla ont chuté d’environ 22% au cours du trimestre en Chine, de 45% dans toute l’Union Européenne et de 62% en Allemagne.
Problème de gamme et de concurrence
Tesla a aussi, selon les analystes, un problème de gamme vieillissante qui n’a pas été renouvelée depuis l’arrivée du Model Y en 2020 et du lancement de nouveaux modèles qui sont des échecs cuisants à l’image du Cybertruck. Une nouvelle version du Model Y devrait entrer en production dans les prochaines semaines.
Aucun constructeur ne se réjouit ouvertement des difficultés de la marque américaine, mais certains tentent d’en profiter pour séduire les clients déçus. Ils sont ainsi plusieurs à avoir établi des « plans Tesla » pour convaincre les acheteurs de cette marque de s’intéresser à leurs voitures électriques haut de gamme. On pense évidemment au Chinois BYD, mais pas seulement. Comme l’explique à La Tribune Antoine Gaston-Breton, le directeur marketing de Volkswagen France, le constructeur allemand a initié un travail d’analyse « des commentaires des propriétaires de véhicules Tesla sur les réseaux sociaux, sur les blogs, pour comprendre quels étaient leurs points de difficulté ». Volkswagen France a ensuite « contacté les possesseurs de Tesla, soit par mails soit sur les blogs », pour mettre en avant les avantages de sa gamme de voitures électriques ID.
Un taxi entièrement autonome et un robot humanoïde pour redresser la barre
Maintenant, la stratégie d’Elon Musk, dont il ne faut pas sous estimer la capacité de rebond, consiste à diversifier l’offre de Tesla. La production à grande échelle du robotaxi, un véhicule électrique entièrement autonome dévoilé en octobre 2024, devrait commencer début 2026 et les premiers prototypes vont circuler à Austin (Texas) dès le mois de juin. Cela devrait avoir un impact financier positif à partir du « second semestre de l’année prochaine » et ce sera ensuite « exponentiel », a affirmé Elon Musk. Tesla a confirmé également que la production pilote de son robot humanoïde Optimus devrait commencer très rapidement, avec l’objectif d’en produire un million par an d’ici cinq ans. Optimus devrait travailler sur les chaînes d’assemblage de Tesla dès cet automne. Mais il faudra cette fois que les promesses d’Elon Musk soient tenues. Cela a été loin d’être le cas depuis plusieurs années, notamment sur les véhicules autonomes.