Transitions & Energies
Investissement Vert

Le taux de retour énergétique, une question fondamentale


Pour produire de l’énergie, il faut en consommer. Le retour de l’investissement énergétique est un élément essentiel de la croissance économique. Peut-il s’effondrer avec les renouvelables?
Article paru dans le numéro 7 du magazine Transitions & Energies.

L’un des principaux obstacles à la transition énergétique est méconnu. Il s’agit du concept de taux de retour énergétique (TRE), ou Eroi pour Energy Returned On Energy Invested. L’Eroi est le ratio entre l’énergie utilisable et celle consommée pour l’obtenir. Il faut dépenser de l’énergie pour en produire. «Imaginons que l’Eroi du système pétrolier soit de 20. Cela veut dire que pour une unité d’énergie consommée pour construire les puits de forage, les pipelines, les tankers, et les raffineries, l’ensemble de ce système génère 20 unités d’énergie pour la société », explique l’ingénieur Victor Court. Il a écrit plusieurs thèses et études approfondies sur l’Eroi et sur la corrélation entre cette donnée et la croissance économique à long terme.

La valeur précise de l’Eroi d’un système énergétique est difficile à établir. Ce qui permet de faire dire presque ce qu’on veut à cette donnée. On peut la mesurer en tenant compte uniquement de l’énergie nécessaire, par exemple, pour trouver et extraire du pétrole.On peut aussi inclure l’énergie nécessaire pour raffiner, transporter et utiliser le pétrole jusqu’à la pompe et même élargir le calcul à l’énergie nécessaire à l’utilisation du pétrole dans la voiture. Dans ce dernier cas, il faut prendre en compte l’énergie utilisée pour construire les routes, les ponts et les autres infrastructures comme les parkings, les usines automobiles et les véhicules eux-mêmes. Et pourquoi pas celle pour former et contrôler les conducteurs…

Le retour énergétique très favorables des fossiles a permis la révolution industrielle

Plus sérieusement, la révolution industrielle des deux cent cinquante dernières années n’est devenue possible que par l’utilisation des énergies fossiles, dans l’ordre le charbon puis le pétrole et le gaz. L’Eroi de ces énergies est et était bien plus élevé que toutes les formes d’énergies jusqu’alors accessibles aux êtres humains. Les fossiles ont décuplé les possibilités de transformation de la matière. Un humain peut développer en une journéeenviron 0,5 kWh de force de travail. La combustion d’un litre d’essence libère environ 10 kWh…

Cela explique pourquoi la révolution industrielle s’est traduite par une envolée de la consommation d’énergie, de la croissance économique et de la richesse matérielle de l’humanité. Le PIB et l’énergie, c’est en fait la même chose comptabilisée de deux manières différentes.

La croissance peut se résumer à l’augmentation du parc de machines en fonctionnement. Par quoi sont faits les vêtements que nous portons, les aliments que nous mangeons, les équipements électroniques que nous utilisons et les moyens de transport que nous empruntons? Il n’y a pas une activité économique dans le monde moderne qui ne soit pas dépendante des machines. Selon les calculs d’experts comme Jean- marc Jancovici, nous pouvons considérer aujourd’hui, dans un pays développé comme laFrance, que 250 machines fonctionnent au service de chaque individu. Et les machines fonctionnent toutes avec de l’énergie…

Une baisse tendancielle du rendement

Le problème de l’Eroi est qu’il connaît une baisse tendancielle accélérée par la transition énergétique en cours. Dans lesannées 1930, l’Eroi du pétrole américain est estimé à 100. Il a été ramené à 30 dans les années 1970 et entre 18 et 11 dans lesannées 2000. Cela est logique: plus la ressource est difficile d’accès, plus il faut dépenser de moyens pour la trouver et l’exploiter, creuser profond, notamment dans les mers, et dépenser ainsi beaucoup d’énergie pour l’atteindre. Il faut y ajouter la mise en place de normes environnementales plus coûteuses. Du coup, le rendement énergétique de l’investissement réalisé est plus faible.

La société industrielle et la société de consommation ont été construites sur la profusion énergétique et le très important Eroi des ressources fossiles. Selon les travaux de Victor Court, un Eroi supérieur à 11 est nécessaire pour maintenir une croissance économique soutenue dans une économie moderne. Voilà pourquoi les collapsologues adorent l’Eroi et en font un élément essentiel de la durabilité d’une civilisation. ftais ils raisonnent sur des modèles figés et négligent la capacité d’adaptation des sociétés humaines, une bien meilleure utilisation des ressources existantes et les avancées technologiques. Dans la plupart des cas, les malthusiens ont eu tort.

La question de fond sur notre capacité à mener la transition énergétique tient à l’Eroi des énergies renouvelables, des biocarburants, de l’hydrogène et des nouveaux investissements dans le nucléaire.

Le faible rendement des renouvelables

Quel est l’Eroi des énergies renouvelables? Même s’il s’améliore avec les progrès techniques et la production en masse de panneaux solaires et des éoliennes, il n’a rien de comparable aux énergies fossiles. Le solaire et l’éolien nécessitent à puissance égalebien plus d’installations, bien plus de maté- riaux, bien plus de surface au sol et bien plus d’investisse- ments. Et surtout, ils sont intermittents et aléatoires et nécessitent, s’ils ne sont pas adossés à des capacités de pro- duction fossiles ou nucléaires, desmoyens de stockage très coûteux et assez peu efficaces.

Pour Jacques Treiner, physicien et président du Comité des experts du Think tank The Shift Project: «Il faut tenir compte du transport de l’électricité et du raccordement. Pour de telles énergies décentralisées, ça fait beaucoup de lignes pour peu de puissance par rapport à une énergie concentrée. L’Eroi doit aussi prendre en compte l’intermittence des énergies renouvelables, donc le coût du stockage et les solutions de secours quand les fluctuations sont trop importantes.» Ainsi, selon plusieurs études récentes, l’Eroi de l’électricité solaire photovoltaïque en Espagne, pays qui bénéficie pourtant d’un ensoleillement favorable, passe d’environ 8 à seulement 2 quand on prend en compte les variations de production. «Les fluctuations quotidiennes et saisonnières de l’éolien et du solaire sont énormes. Il faut donc leur ajouter des systèmes de stockage et ceux-ci réduisent considérablement leur Eroi. Soit avec des batteries dont la densité énergétique est intrinsèquement limitée, soit avec de l’hydrogène qu’il faut produire avec un rendement de 25%, 35% maximum.»

L’éolien, lui aussi intermittent par nature, n’est pas beaucoup plus performant. Un chercheur de l’Institute for Nuclear Physicsde Berlin, Daniel Weissbach, a calculé qu’en intégrant le stockage, l’Eroi de l’éolien passait de 16 à… 3,9.

Une étude publiée l’an dernier par des chercheurs de l’université de Valladolid estime qu’une transition vers une électricité 100% renouvelable à l’horizon 2060 ferait passer l’Eroi du système énergétique mondial d’un niveau actuel de 12 à 3 au milieu du siècle, avant de remonter pour se stabiliser à 5. Autant dire que 100% d’électricité renouvelable est en l’état actuel de la technologie une chimère.

Une menace pour la croissance

La forte corrélation entre PIB et consommation d’énergie signifie en tout cas que si nous n’arrivons pas à remplacer les énergies fossiles par d’autres ressources doté d’un Eroi relativement élevé, la croissance économique est menacé. C’est notamment pour cela que les adeptes de la décroissance estiment qu’elle seule permettra de réellement réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Il y a deux problèmes avec ce raisonnement. D’une part, il n’y a pas de corrélation, dans une certaine limite, entre consommation d’énergie et émission de gaz à effet de serre. La baisse des émissions en Europe depuis une décennie sans recul dela consommation d’énergie le montre. Des technologies comme l’hydrogène vert, les carburants de synthèse, la capture du CO2 et le nucléaire peuvent accélérer cette évolution.

Enfin, la transition n’est pas une question théorique, mais concerne la transformation des sociétés humaines. Son acceptabilité sociale et politique est un facteur déterminant. Si transition rime avec décroissance et appauvrissement, elle est vouée à l’échec.

par Léon Thau

La rédaction