Transitions & Energies

Un tabou a été brisé, la construction de nouveaux sites nucléaires est devenue une possibilité


La relance d’un programme de construction de réacteurs nucléaires en France, qu’ils soient au nombre de 6 ou même de 14, a toujours été envisagée, jusqu’à aujourd’hui, par l’extension de sites, c’est-à-dire de centrales, opérationnelles. Créer de nouveaux sites semblait à la fois politiquement et juridiquement trop compliqué et incertain. Jusqu’à ce que le président de la République évoque soudain mercredi 28 juin la possibilité de construire une nouvelle centrale sur le bassin même de Marseille-Fos. Il faut dire que pour décarboner rapidement cette zone industrielle et lui permettre de se développer, il faut pouvoir l’approvisionner massivement avec de l’électricité bas carbone. Nucléaire ou émissions de gaz à effet de serre, il faudra bien choisir.

Emmanuel Macron a-t-il bien mesuré l’impact des paroles prononcées cette semaine, mercredi 28 juin, sur l’éventualité de construire une nouvelle centrale nucléaire sur le bassin de Marseille-Fos. Il a brisé un tabou que le gouvernement et toute la filière nucléaire du pays s’étaient bien gardés jusque-là de remettre en cause. Tant les risques politiques et même juridiques semblent considérables sur le lancement d’un tel chantier et les oppositions qu’il pourrait susciter.

Jusque-là, les annonces faites lors du discours de Belfort en février 2022 et précisées depuis étaient claires: jusqu’à 14 nouveaux réacteurs de type EPR2 et une première commande de 6 dont les deux premiers seront construits à Penly, les deux suivants à Gravelines selon toute vraisemblance et la dernière paire soit à Tricastin, soit à Bugey.

Pour les 8 autres tranches éventuelles, les sites ayant le potentiel pour les accueillir ne manquent pas entre Cattenom, Blayais ou encore Chinon. Leur point commun? Tous les sites envisagés se trouvent être des centrales en exploitation ayant des terrains disponibles pour s’étendre.

Le précédent de Plogoff

Augmenter le nombre de réacteurs en service dans une centrale existante limite considérablement les obstacles politiques et sociaux. Sans parler de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, qui a empêché la construction d’un aéroport, ou plus proche de nous les affrontements extrêmement violents du 25 mars dernier autour de la petite bassine de Sainte-Soline, déjà à la fin des années 1970, la construction d’une centrale nucléaire dans le Finistère, à Plogoff, avait provoqué une telle opposition locale, que parvenu au pouvoir, François Mitterrand avait mis fin au projet en 1981.

Mais il y a d’un côté les risques politiques et sociaux et de l’autre les contraintes techniques. Nous savons depuis bien longtemps que deux régions françaises présentent un profil à risque en terme énergétique, avec une sous-production électrique massive et une situation en « bout de ligne » du réseau: la Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et la Bretagne.

La région PACA a aussi pour particularité d’abriter le premier port de France au cœur d’une grande zone industrielle comptant des dizaines d’industries polluantes, à commencer par un haut fourneau d’Arcelor, une raffinerie, un terminal méthanier… Fos-sur-Mer est ainsi à la fois un des poumons économiques du pays et en même temps l’un de ses principaux pollueurs.

Pour réduire les émissions de Fos-sur-Mer, il va falloir beaucoup d’électricité décarbonée

Mais tout cela devrait pouvoir changer rapidement. La zone de Fos a l’ambition affichée de devenir un pôle industriel modèle zéro carbone. Et cela passe par l’électrification du haut-fourneau d’Arcelor (presque 8 millions de tonnes de CO2) qui devrait devenir réalité autour de 2027, mais aussi par l’accueil de l’usine d’acier vert Gravithy et l’implantation d’une gigafactory de cellules photovoltaïques par la société française Carbon qui comme toutes les usines de panneaux solaires consomme énormément d’énergie

D’ici 2030, Fos devrait changer radicalement de visage. A condition de pouvoir l’alimenter en électricité bas carbone… Ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes. RTE estime jusqu’à 6GW la puissance nécessaire pour les futures demandes de raccordement de la zone. L’équivalent de 4 EPR! Or, c’est précisément ce chiffre qui est sorti de la bouche même du président de la République: il a estimé les besoins au niveau national à « 4 EPR supplémentaires ».

Pertinence technique contre risque politique… et sismique

S’il faut bien évidemment comprendre EPR2, cette estimation colle parfaitement avec les besoins de la région PACA. Il n’a pas été précisé si ces 4 tranches étaient envisagées en complément des 14 éventuellement attendues d’ici 2050, sachant que la ministre de la Transition Energétique, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé son intention de consulter l’industrie afin de savoir s’il est possible d’aller plus loin que le chiffre de 14. Visiblement donc, oui.

Emmanuel Macron a aussi été clair sur une chose: il faut étudier la possibilité d’installer certaines des nouvelles tranches sur la zone même du bassin de Marseille-Fos. C’est une nécessité pour équilibrer et consolider le réseau. La pertinence technique de cette installation fait donc peu de doute.

Cela dit, il a été rapidement souligné que ce territoire se trouve en zone sismique et soumis ainsi à un risque de tsunami, qui bien que très modéré, existe. Le souvenir de l’accident de Fukushima au Japon en 2011 est encore bien présent dans les esprits. Mais des risques de ce type peuvent être pris en compte et l’ingénierie est capable de construire des réacteurs suffisamment protégés pour y faire face. Digues, constructions surélevées, normes parasismiques… tout est envisageable.

Le chemin s’annonce encore très long avant de pouvoir même imaginer la divergence d’un nouveau réacteur dans une nouvelle centrale au bord de la Méditerranée. Mais une chose est sûre, le tabou de l’installation de centrales nucléaires sur de nouveaux sites a bel et bien sauté.

Philippe Thomazo

La rédaction