Non contente d’être menacée en permanence d’une invasion de l’armée chinoise et d’être soumise fréquemment à un blocus naval, l’île de Taïwan est aussi confrontée à une crise énergétique majeure. La demande d’électricité dépasse aujourd’hui les capacités du pays et de son réseau, qui en outre dépend presque exclusivement des importations d’hydrocarbures.
La marge d’exploitation du réseau électrique – le tampon entre l’offre et la demande – doit être d’environ 25% dans un système robuste. À Taïwan, il est arrivé à plusieurs reprises cette année que la marge tombe à 5% et les coupures de courant sont fréquentes. Et l’année dernière, la production d’électricité de Taïwan dépendait à 83% des combustibles fossiles importés. Cela rend l’île d’autant plus vulnérable à un blocus naval chinois prolongé qui pourrait la contraindre à capituler. Taïwan pourrait alors compter sur six semaines de réserves de charbon et pas beaucoup plus d’une semaine de gaz naturel liquéfié (GNL). Le charbon assurait l’an dernier environ 42% de la production électrique du pays et le gaz naturel 40%. La situation est telle que si Taïwan n’est pas en mesure de développer rapidement une capacité propre de production d’énergie, elle finira par succomber et tomber comme un fruit mur aux mains de la République populaire de Chine.
Car Taiwan a des besoins énergétiques très importants. Pour répondre à la demande d’une population de 23 millions d’habitants mais également d’une industrie technologique parmi les plus avancés et les plus gourmandes en énergie. Si Taïwan ne compte que 0,3% de la population mondiale, l’île abrite environ 18% de la capacité mondiale de fabrication de semi-conducteurs et pas moins de 92% de la capacité mondiale de fabrication des puces informatiques les plus avancées, selon la United States International Trade Commission (la Commission du commerce international des États-Unis).
Le talon d’Achilles de Taiwan
Dans une étude publiée en septembre dernier, le groupe de recherche Yale360 de l’Université de Yale estime que sa faiblesse en ressources énergétiques est le talon d’Achilles de Taiwan, pour reprendre un terme utilisé récemment par l’IFRI (Institut français des relations internationales). Pour Yale360, si le gouvernement de l’île ne parvient pas à trouver rapidement des solutions, les groupes industriels qui ont fait le succès économique de l’île seront contraints de partir. « À l’aube de l’ère de l’intelligence artificielle (IA) particulièrement gourmande en énergie, Taïwan est confronté à une crise énergétique aux multiples facettes. L’île dépend fortement des importations de combustibles fossiles ; elle a des objectifs ambitieux en matière d’énergie propre qu’elle ne parvient pas à atteindre ; et elle peut à peine répondre à la demande actuelle. Selon les critiques du gouvernement, il est de plus en plus urgent de s’attaquer à ce problème », écrivait Yale360 en septembre de l’année dernière. Si la Chine décidait demain de bloquer les importations d’énergie de Taïwan, la souveraineté et la sécurité du pays seraient en très grand danger.
Le gouvernement taïwanais est conscient de la fragilité de l’approvisionnement énergétique du pays. Et comme le souligne l’IFRI, il « encourage le développement des énergies renouvelables, diversifie les fournisseurs de combustibles fossiles, augmente les capacités de stockage des carburants et renforce la sécurité du réseau électrique ». Mais cela semble très insuffisant.
Taiwan a en plus renoncé au nucléaire
En outre, Taïwan s’est tiré une balle dans le pied en éliminant l’une de ses seules formes de production d’énergie nationale. En mai de cette année, Taïwan a fermé le dernier de ses six réacteurs nucléaires, concrétisant la promesse du Parti démocrate progressiste (DPP), au pouvoir, de parvenir à une « patrie sans nucléaire » d’ici à cette année 2025. Il fut un temps où le nucléaire répondait à la moitié de la demande d’électricité du pays. Mais Taiwan est une démocratie. La décision d’abandonner le nucléaire a été prise après l’accident nucléaire de Fukushima en 2011 et à la suite des protestations locales concernant l’élimination des déchets nucléaires. Certaines mauvaises langues expliquent que ses dernières étaient en partie téléguidées par la Chine continentale…
Sans nucléaire et sans aucun gisement fossile, Taiwan doit donc trouver et vite d’autres sources d’énergie. La solution se trouve peut-être dans le sous-sol, mais sous forme de chaleur. « Pris en sandwich entre deux plaques tectoniques de l’océan Pacifique, Taïwan est très riche en ressources géothermiques », souligne un rapport récent de Foreign Policy. « Bien qu’elles n’aient pas été exploitées jusqu’à présent, cela pourrait rapidement changer. Si le pays peut tirer parti de son potentiel naturel en matière d’énergie géothermique, cela pourrait constituer une solution presque miracle aux problèmes de son réseau électrique». Non seulement l’énergie géothermique est renouvelable et bas carbone, mais elle est aussi constante, c’est-à-dire qu’elle produit de la chaleur et donc de la vapeur et de l’électricité pour la géothermie profonde de façon non intermittente, 24 heures sur 24, à partir d’installations pérennes et robustes.
Google à la rescousse
Le président taïwanais Lai Ching-te s’est ainsi montré très favorable au développement de l’énergie géothermique, et la compagnie pétrolière nationale a déjà commencé à réaffecter certains puits à l’exploration géothermique. Maintenant, se doter d’une capacité de production électrique importante grâce aux calories du sous-sol ne se fait pas d’un coup de baguette magique. L’exploration, la mise en place des investissements et la construction des équipements demandent des années. Et Taiwan qui doit former des techniciens et des ingénieurs hautement spécialisés est déjà confronté dans sa filière technologique au manque de population active qualifiée. Enfin Taiwan n’a pas beaucoup de temps.
Maintenant des entreprises aux poches très profondes qui parient sur le développement de l’AI, à l’image de Google, ont décidé de soutenir le développement de la géothermie à Taïwan afin évidemment de protéger leurs propres intérêts. Les géants de la technologie ont les moyens de vraiment changer la donne et au passage… de sauver Taiwan.