La civilisation de l’automobile est menacée et attaquée de toutes parts. Elle ne va pas disparaître comme cela et la voiture est encore pour une grande partie de la population indispensable pour travailler, se soigner, faire des courses, étudier, avoir une vie sociale… L’attachement parfois irrationnel à l’automobile reste fort. Parce qu’elle garantit une totale liberté et autonomie de déplacement sur longue et courte distance sans pareil. Parce qu’elle fait encore rêver, surtout dans la France périphérique.
Maintenant, son coût d’utilisation toujours plus élevé, les contraintes grandissantes à son usage et sa stigmatisation à la moraline marquent le déclin de ce mode de transport individuel qui a façonné, pour le meilleur et pour le pire, nos paysages et nos agglomérations. Ce qui signifie que la remise en cause de la civilisation automobile passe obligatoirement par un changement de mode de vie et d’organisation spatiale de la vie économique et sociale. Cela est possible et sans doute nécessaire, mais ne se fera pas en quelques années, mais en quelques décennies.
Le poids de l’automobile
Il faut commencer par bien mesurer le rôle et le poids de l’automobile et ne pas les balayer d’un revers de la main comme le font les militants et moralisateurs à vélo des grandes agglomérations. Nous avons en fait presque tous une vision trompeuse de la réalité des transports du quotidien. C’est notamment ce que montre Aurélien Bigo, chercheur à l’Institut Louis Bachelier et adversaire résolu de l’automobile. Ce qui ne veut pas dire que ses arguments ne sont pas intéressants ni même pertinents. En 1800, les Français passaient une heure par jour à se déplacer, presque exclusivement à pied. Ils faisaient alors 4 km de marche, toujours en moyenne, par personne au quotidien.
Aujourd’hui, nous passons toujours une heure par jour à nous déplacer en moyenne. Sauf que nous faisons plus de 50 km et que la marche représente moins de 1 km de ce total. Sans surprise, c’est la voiture qui domine très largement, suivie par l’avion. Cela peut sembler surprenant, mais cela tient au fait que les distances parcourues en avion sont considérables et pèsent sur la statistique. L’avion nous fait ainsi parcourir neuf fois plus de kilomètres que nos pieds sur une année.
L’utilité des infrastructures de transport
La démonstration d’Aurélien Bigo permet de montrer que les infrastructures que nous avons construites depuis deux siècles – routes, autoroutes, voies de chemin de fer, parkings, gares, aéroports, centres commerciaux, zones industrielles – ont accompagné la transformation de l’organisation économique. Mais elles ne nous font pas économiser du temps.
Nous consacrons tout simplement le même temps pour aller plus loin. Ce n’est pas le temps de déplacement que la modernité a changé, mais la portée des déplacements. Cela remet en cause la façon dont est mesurée l’utilité des infrastructures de transport.
L’évaluation socio-économique des infrastructures de transport part d’une règle cardinale : elles permettent d’économiser du temps de déplacement. Mais c’est loin d’être toujours le cas. En outre, elles ont des effets induits. Elles ont participé et sont en partie à l’origine de l’étalement urbain en augmentant considérablement la vitesse des déplacements. Même s’il est très difficile d’affirmer quoi que ce soit dans une question de poule et d’œuf. L’étalement urbain le long des voies de transport a-t-il pour origine l’existence même de ses infrastructures ou a-t-il été permis parce qu’on pouvait construire ses infrastructures ?
Nouvel exode rural
Mais quand la logique change radicalement car l’énergie devient toujours plus chère, quel est alors le destin des zones périurbaines peu denses et même des zones rurales lorsqu’il devient économiquement impossible pour les ménages d’avoir des moyens de déplacements individuels rapides comme la voiture ?
Un monde décarboné nous obligera à revoir totalement l’organisation spatiale, ce qui ne sera pas sans conséquences sociales et politiques. Il passe en théorie par une concentration urbaine toujours plus grande pour réduire les distances de déplacements quotidiens. Un nouvel exode rural doublé d’un exode des petites agglomérations. Sombre perspective… La guerre entre la France périphérique et celle des métropoles ne fait que commencer.
L.T.














