Eclipsé par le Blackout qui a paralysé pendant presque 24 heures la péninsule ibérique, le débat lundi 28 avril à l’Assemblée nationale sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) troisième version, a été marqué par un virage inattendu et salutaire du gouvernement. Il est sans doute lié aussi à la crainte d’une censure. Ce texte qui est la feuille de route de la transition énergétique en France pour les dix prochaines années et doit se traduire par des dizaines de milliards d’euros d’investissements est dogmatique, incohérent, irréaliste et élude deux problèmes majeurs. Le fait que l’électrification des usages (transports, chauffage et climatisation, industrie) est aujourd’hui une vue de l’esprit et que l’intermittence de production des renouvelables éolien et solaire déstabilise les réseaux électriques et fait s’envoler les prix.
Le fruit de l’aveuglement technocratique et militant qui a conduit la transition énergétique dans l’impasse en France comme en Europe. Face aux oppositions, le gouvernement avait décidé que la PPE ne serait pas adoptée par le Parlement. Une entorse à la démocratie puisque ce texte est normalement une loi et donc doit être soumis au vote des parlementaires. A la place, le gouvernement avait organisé à l’Assemblée, le 28 avril, et au Sénat le 6 mai des débats sans vote. Puis il s’est heureusement ravisé face à une Assemblé nationale quasiment déserte…
« Raison scientifique… »
Le Premier ministre François Bayrou a annoncé une révision en profondeur de la PPE qui devra être terminée « d’ici à la fin de l’été », après un nouveau passage devant les parlementaires et l’intégration des conclusions d’un groupe de travail express, confié au député Antoine Armand (Renaissance), ancien ministre de l’Economie du gouvernement Barnier, et au sénateur Daniel Grémillet (Les Républicains). Les députés devront se prononcer sur la proposition de loi de programmation de l’énergie dite « Grémillet », déjà adoptée au Sénat à l’automne 2024 et jugée plus favorable au nucléaire et moins aux renouvelables intermittents que le texte actuel. « Le gouvernement n’a rien à vendre, aucune thèse à imposer coûte que coûte. Seuls la science, les faits et la raison guideront notre action », a affirmé le Premier ministre. Il s’est attiré les foudres, après son allocution, des socialistes, écologistes et Insoumis qui considèrent que la France « renonce à ses ambitions ».
Et sans surprise, France Renouvelable, le syndicat professionnel de la filière renouvelable, s’est emporté contre un report de l’adoption de la PPE qui est un « signal extrêmement préoccupant pour l’avenir énergétique » du pays. « Derrière chaque report de ce décret, c’est toute une chaîne de valeur industrielle, des emplois locaux, de l’innovation et de la compétitivité qui sont mis en danger », a déploré Anne-Catherine de Tourtier, la présidente de l’organisation professionnelle. Elle oublie au passage que la quasi-totalité des composants des éoliennes installés en France sont importés et la totalité des panneaux photovoltaïques.
François Bayrou a lui mis en avant la « raison scientifique ». Les « décisions lourdes » en matière énergétique « méritent d’être éclairées par un débat honnête et exigeant, guidé par la raison et le sens de l’intérêt général… Nous devons réévaluer nos hypothèses de consommation et nos capacités de production avec rigueur et objectivité… Dans un scénario où la consommation d’énergie resterait atone et où la production bas carbone augmenterait, nous ne savons pas encore quelles seraient les conséquences précises ». EDF comme RTE ont lancé des études sur cette hypothèse, dont les résultats ne sont attendus qu’à l’automne. Il était temps.
« Souveraineté, abondance, compétitivité, décarbonation »
François Bayrou a aussi mis en avant le coût pour les finances publiques et l’économie d’une électricité renouvelable très chère et éventuellement inutile. « Le coût complet de l’électricité renouvelable intégrant le coût du soutien public doit être un élément déterminant dans chacune de nos décisions », évoquant le coût exorbitant de l’éolien marin, estimé à 150 euros le mégawattheure. Même celui des futurs réacteurs nucléaires EPR2 devrait être nettement inférieur à 100 €/MWh. « Nous devons juger chaque technologie à l’aune de quatre critères essentiels : souveraineté, abondance, compétitivité, décarbonation », a affirmé le Premier ministre.
« Nous importons aujourd’hui la quasi-totalité des panneaux photovoltaïques, à 85% en provenance de Chine », a-t-il rappelé. Il n’est pas question pour lui de renoncer aux énergies renouvelables intermittentes, mais leur développement devra se faire « de manière raisonnée et progressive ».
Le gouvernement publiera donc une version profondément corrigée de la PPE avant la fin de l’été, suivie immédiatement de son adoption par décret pour donner de la visibilité aux filières industrielles.
Ni fait, ni à faire
Il faut dire que la PPE première version était un texte ni fait, ni à faire, idéologique et inapplicable qui visait à satisfaire les militants et les lobbys et n’avait aucune chance de se traduire dans les faits. Il revenait à consacrer des dizaines de milliards d’euros d’argent public pour renchérir considérablement le prix de l’électricité et déstabiliser les réseaux sans pour autant décarboner la production électrique française qui l’est déjà, faut-il le rappeler à 95%…
Les critiques virulentes contre la PPE n’étaient pas seulement politiques à l’image de cellesnotamment formulées par l’Académie des sciences dont la compétence et l’indépendance peuvent être difficilement remises en cause. Elle dénonce les « incohérences » et le caractère totalement « irréaliste » de la PPE. « Ce document est mal fait, il n’y a pas eu de travail de mise en cohérence des contributions des différents services », un niveau de rigueur « indigne d’une production des services de l’État ».
L’Académie soulignait que l’électrification massive des usages qui permettrait de décarboner la consommation d’énergie du pays est considérée comme allant de soi est aujourd’hui une pure spéculation. Depuis 2017, la consommation électrique française a diminué, revenant de 480 TWh à 449 TWh en 2024. « L’électrification n’est pas qu’une question de volonté politique, mais aussi scientifique et technologique », rappelle l’Académie.
La PPE est loin d’être indispensable
Elle constait aussi avec effarement le fait de passer sous silence l’intermittence des parcs éoliens et solaires qui devraient représenter, selon la PPE, près de 40% de la production électrique à l’horizon 2035. Sans stockage massif de l’électricité intermittente produite qui « ne sera pas beaucoup plus disponible dans 10 ans » qu’aujourd’hui, le système électrique français sera en mauvaise posture. Victime d’une « volatilité accrue des prix », d’une « modulation excessive de la production nucléaire… et un sous-emploi de ce parc » et d’une « tension sur les réseaux » entraînant des « coûts considérables supplémentaires ».
Maintenant, la France peut aussi parfaitement se passer d’une PPE. Il a déjà fallu quatre années laborieuses concocter le texte actuel qui est très éloigné des réalités. Quant à la précédente PPE, elle n’était plus opérationnelle et ne correspondait plus du tout à la réalité depuis de nombreuses années… depuis la volte-face d’Emmanuel Macron sur le nucléaire et les conséquences de l’invasion de l’Ukraine.