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Le pétrole, une vraie menace pour l’économie mondiale


L’effondrement des cours du baril est dangereuse car elle renforce l’addiction mondiale au pétrole, surtout avec la récession à venir et ses conséquences, une augmentation du chômage et la baisse des revenus. Mais la destruction prévisible de capacités de production de pétrole aux Etats-Unis et dans d’autres pays signifie aussi que les cours pourraient flamber le jour où l’économie mondiale va redémarrer.

Le géo-économiste spécialiste de l’Energie, Laurent Horvath a publié sur le site du Temps une tribune inquiétante sur les conséquences du krach pétrolier et de la guerre des prix menée par l’Arabie Saoudite et la Russie. L’effondrement des cours du baril renforce l’addiction mondiale au pétrole, surtout avec la récession à venir et ses conséquences, une augmentation du chômage et la baisse des revenus. Mais la destruction prévisible et voulue par l’Arabie Saoudite et la Russie de capacités de production de pétrole aux Etats-Unis et dans d’autres pays producteurs signifie que les cours pourraient flamber le jour où l’économie mondiale va redémarrer.

Il y a à peine trois semaines, la pandémie de coronavirus a donné l’opportunité à l’Arabie Saoudite et à la Russie de se lancer dans une guerre des prix sans merci sur le marché pétrolier pour mettre à genoux une partie de la concurrence. Sur les places financières, le baril a perdu 50% de sa valeur pour se stabiliser autour de 25 dollars.

Consommation en chute libre

Sur le marché physique, celui des vrais barils et des vrais tankers, le krach pétrolier est encore plus sanglant. Les barils contenus dans les soutes des pétroliers géants ne trouvent plus aucun acheteur sauf à des prix effondrés. On parle de 15 dollars, 10 dollars et même 8 dollars le baril!  La première compagnie pétrolière au monde, la saoudienne Aramco devrait vendre son pétrole autour de 15 dollars le baril à Rotterdam dès le début du mois d’avril. Le Nigeria, le plus important pays producteur africain, vend son Qua Iboe crude à un prix inférieur de 3,10 dollars aux cours du Brent. La Colombie commercialise elle son Vasconia à 7,75 dollars sous les prix du Brent.

La consommation de pétrole dans le monde est en chute libre. Elle aurait au moins baissé d’un tiers dans les pays européens en confinement comme la France, l’Italie et l’Espagne. Selon la banque Goldman Sachs, la demande mondiale, qui était de 100 millions de barils par jour l’an dernier, devrait baisser d’au moins 10,5 millions de barils par jour en mars et de 18,7 millions en avril.

Une bonne partie des producteurs américains de pétrole de schiste se trouve dans une situation intenable avec une dette totale évaluée à 160 milliards de dollars. Extraire un baril de schiste leur coûte en moyenne entre 45 et 50 dollars.  En moins de deux semaines, toutes les entreprises du secteur ou presque ont annoncé des coupures de budgets, des licenciements. Certaines ont même déjà lancé des procédures de faillites. Selon le cabinet Rystad Energy, le secteur pourrait perdre 200.000 emplois.

Où stocker les barils?

Désireux de protéger sa doctrine «de dominance énergétique», Donald Trump se trouvait face à un dilemme. Comment maintenir les prix de l’énergie le plus bas possible afin d’aider son économie à redémarrer et limiter la récession, et donc avoir une chance d’être réélu en novembre, tout en gardant en vie les producteurs pétroliers? Le coronavirus lui a apporté la solution. Via les injections massives de cash annoncées par la Réserve fédérale (la banque centrale américaine) et le plan de sauvetage de l’économie de 2.000 milliards de dollars adopté par le Congrès, les dettes des groupes pétroliers pourront être, en grande partie, effacées ou au moins allégées et reportées.

L’autre grand problème encore plus immédiat est de savoir où stocker le pétrole en excédent? L’exploitation d’un champ ne s’arrête pas facilement. Fermer rapidement un puit peut en outre l’endommager définitivement. La surproduction aujourd’hui est énorme et pourrait atteindre 25 millions de barils par jour. Selon Rystad Energy, les capacités de stockage mondiales sont utilisées à 76% et pourraient être rapidement saturées. Comme le rappelle Laurent Horvath, «lors de la crise de 2014, certains producteurs de schiste avaient payé 50 centimes le baril pour s’en débarrasser! Vous avez bien lu payer par vendre!»

«Bombe à retardement»

Mais cette situation ne va pas durer. La pandémie va finir par s’arrêter. Les confinements vont être levés et même si les économies sont fortement affaiblies, elles seront soutenues par les injections colossales de liquidités et les soutiens publics massifs annoncés sur tous les continents et par toutes les grandes puissances économiques. «En toute logique, si l’Arabie Saoudite et la Russie continuent sur leurs lancées… les cours vont tendre vers le bas le temps de la pandémie», écrit Laurent Horvath. «Ensuite si l’Economie repart, sans une partie des 9,3 millions de barils de schiste US, les cours devraient remonter comme un bouchon de liège. Le pétrole devient de plus en plus une bombe à retardement», ajoute-t-il.

Le pétrole est aujourd’hui une menace pour l’économie mondiale tant les variations extrêmes des prix, leur impact sur les économies et les enjeux de pouvoir et de domination entre pays sont devenus incontrôlables. Le chaos règne aujourd’hui sur le marché pétrolier et sa régulation faite depuis des décennies par le tandem saoudien-américain n’existe plus. La conclusion de Laurent Horvath est que pour des raisons climatiques comme économiques, il est indispensable que les pays importateurs utilisent une partie des sommes déversées dans les prochains mois sur leurs économies pour réduire leur addiction au pétrole. «La tentation de retourner dans les bras du pétrole est rassurante, mais explosive», conclut-il.

La rédaction