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Puit de pétrole Wikimedia

Pétrole, l’affolement n’aura pas duré longtemps


En dépit de l’affolement des observateurs et de l’annonce d’un choc pétrolier d’ampleur, les prix du pétrole seront finalement restés sous contrôle la semaine dernière. L’attaque coordonnée menée le 14 septembre par plus de 25 drones et missiles de technologie iranienne contre deux installations saoudiennes majeures, celles de Abqaiq et de Khurais, a amputé de près de 60% la production journalière du royaume. Il y a eu 17 points d’impact à Abqaiq, la plus grande installation de traitement pétrolier au monde, et encore plus à Khurais.

Les dommages infligés aux deux sites ont réduit la production pétrolière journalière du pays de 5,7 millions de barils sur un total de 9,8 millions. Abqaiq a traité l’an dernier environ la moitié de la production de la compagnie pétrolière nationale Aramco. L’installation retire le souffre et divers produits volatils du brut venant des champs géants saoudiens avant qu’il soit pompé vers les raffineries ou les terminaux d’exportation.

Khurais est le deuxième plus important champ pétrolier saoudien avec une capacité de 1,45 million de barils par jour. Il produisait 1,2 million de barils quotidiennement avant l’attaque.

Cette dernière a réduit en quelques heures de plus de 5% la capacité de production mondiale. Ce qui est sans précédent. Elle a aussi  affaibli  le régulateur du marché mondial. L’Arabie Saoudite joue ce rôle depuis des décennies et était capable d’augmenter sa production à tout moment. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.  Il s’en est suivi, en début de semaine dernière, un commencement de panique. Lundi 16 septembre, pendant quelques heures les cours du baril ont progressé de plus de 15%, retrouvant leurs niveaux du mois de mai. Une panique alimentée aussi par des raisons purement techniques de marché. A savoir, un changement massif de positions des investisseurs sur les marchés à terme orientés alors à la baisse.

Réserves stratégiques

Les mêmes investisseurs ont pourtant rapidement retrouvé leur sang-froid. Il n’y a pas eu de guerre à grande échelle dans le Golfe Persique et de riposte américaine contre l’Iran. La capacité de mobiliser des réserves stratégiques, les propos rassurants venus de Ryad sur les réparations et la surproduction mondiale dans une conjoncture économique planétaire dégradée ont calmé le jeu. Sans oublier le fait que les cours du baril se situent plutôt depuis des mois à des niveaux relativement faibles. Résultat, la hausse aura été «seulement» sur la semaine de 6% à 7% et le baril se situe dans une fourchette comprise entre 58 et 65 dollars. Il n’est plus question de baril à plus de 100 dollars et de choc pétrolier.

Comme l’explique Goldman Sachs, les réserves stratégiques de nombreux pays dont les Etats-Unis peuvent à elles seules stabiliser le marché pendant des mois. A la fin du mois de juillet, les réserves des pays de l’OCDE représentaient 1,55 milliard de barils. De quoi couvrir intégralement les besoins pendant plus de 30 jours. Par ailleurs, si l’Arabie Saoudite parvient à remettre en état relativement rapidement les équipements endommagés, la pression sur l’offre n’aura même pas existé. Le royaume a aussi commencé à augmenter la cadence de production de ces champs et installations qui n’ont pas été endommagés.

L’Arabie Saoudite s’est aussi voulue rassurante, même si les déclarations officielles doivent être prises avec prudence. Le ministre de l’énergie, le prince Abdulaziz bin Salman, a indiqué que la production pétrolière du Royaume sera de retour à la normale d’ici à la fin du mois septembre. Ce que la compagnie pétrolière nationale Aramco a confirmé quelques jours plus tard par la voix de son président Amin Nasser.  Selon eux, les capacités de production du royaume seront rétablies à 11 millions de barils par jour à la fin septembre et à 12 millions à la fin novembre. Les experts sont moins optimistes. Pour eux, les réparations de Abqaiq  prendront des mois, au moins jusqu’à la fin de l’année. A la fin de la semaine dernière, Khurais était capable de produire 360 000 barils par jour, 30% de sa production, et Abqaiq pouvait traiter 2 millions de barils par jour contre 4,5 millions avant l’attaque.

Ralentissement de l’économie mondiale

Pour autant, sauf escalade militaire dans le Golfe Persique, il n’y a aucune raison pour que le prix du pétrole soit élevé. L’économie mondiale est en plein ralentissement et avec elle la demande de pétrole. L’OCDE anticipe une hausse du PIB mondial de 2,9% cette année, soit 0,3 point de moins qu’il y a quatre mois, et seulement une très légère accélération en 2020 (3% contre 3,4% attendu auparavant). Il s’agit des taux de croissance annuelle les plus bas depuis la crise financière de 2008.

D’autres chiffres conjoncturels sont encore plus inquiétants. La Chine est confrontée au plus fort ralentissement de sa production industrielle depuis 17 ans et à la plus faible croissance des ventes au détail depuis 2003. L’Allemagne est en quasi-récession.

Les comparaisons faites un peu rapidement avec les années 1970 et les chocs pétroliers de 1973 et 1975 n’ont donc pas beaucoup de sens et cela pour de nombreuses raisons. D’abord, les économies ont considérablement réduit leur dépendance au pétrole. La consommation aux Etats-Unis, par exemple, est passée de 17,3 millions de barils par jour  en 1973 à 20,5  millions de barils par jour en 2018, une hausse de 18% quand le produit intérieur brut réel du pays s’est envolé de 230%. En Allemagne, les ménages n’ont consacré en 2018 que 2,6% de leur budget aux carburants.

Les sources de production mondiales de pétrole se sont par ailleurs considérablement diversifiées au cours des cinquante dernières années. Le monde est devenu moins dépendant des pays producteurs du Moyen Orient. Le pétrole est exploité au large des côtes d’Afrique de l’Ouest, du Mexique, du Brésil et dans les sables bitumineux du Canada. Et surtout les Etats-Unis, grâce au pétrole de schiste, sont devenus les premiers producteurs de brut au monde. De quoi compenser assez facilement à court et moyen terme les barils perdus en cas de perturbation majeure. Pour preuve, le monde se passe sans difficulté du pétrole du Venezuela, de la Libye et de l’Iran. Enfin, quand les prix du baril de pétrole se sont installés durablement au-dessus des 100 dollars, entre 2011 et 2014, cela n’a pas conduit à un choc majeur pour l’économie mondiale.

Le vrai et le seul risque aujourd’hui pour le marché pétrolier n’est pas celui d’un manque de pétrole, mais d’un embrasement militaire dans le Golfe Persique.

 

La rédaction