Transitions & Energies

La plus grande usine de capture du CO2 dans l’atmosphère est entrée en service en Islande


La start-up suisse Climeworks, pionnier de la capture directe dans l’atmosphère du carbone (DAC), a mis en service en Islande sa plus grande usine jamais construite. Baptisée Mammoth, elle permettra de capter et stocker dans le sous-sol 36.000 tonnes de CO2 par an. Cela peut sembler anecdotique, mais cette technologie pourrait s’avérer cruciale. Climeworks travaille sur trois projets aux Etats-Unis permettant chacun de capturer plus d’un million de tonnes de carbone et devrait construire également des usines au Canada, en Norvège et au Kenya.

L’équation est simple, au moins en apparence. Sans capture du CO2, qu’elle se fasse lors de processus industriels (CCS et CCUS) ou directement dans l’atmosphère (DAC), les objectifs de décarbonation des prochaines décennies n’ont aucune chance d’être atteints. C’est ce qu’affirment aussi bien l’Agence internationale de l’énergie (AIE) que le GIEC, le World Economic Forum, l’Académie américaine des technologies, l’Imperial College de Londres… Pour autant, ces technologies sont loin d’être arrivées à maturité, sont économiquement problématiques et sont en outre sans cesse décriées.

Voilà pourquoi l’acharnement de la start-up suisse Climeworks n’est pas anecdotique. Elle vient de mettre en service en Islande sa plus grande usine de capture directe dans l’atmosphère de carbone baptisée Mammoth. Elle est située à quelques centaines de mètres de sa petite soeur expérimentale, Orca, en service depuis septembre 2021, au milieu d’un champ de lave solidifiée à une demi-heure de la capitale Reykjavik. Mammoth est alimenté en énergie par une centrale géothermique voisine.

« Plusieurs gigatonnes d’ici 2050 »

« L’élément clé qui nous permettra d’abaisser nos coûts est le passage à l’échelle industrielle », affirme le Docteur Christoph Gebald, Directeur général de Climeworks. « Pour construire une solution efficace à la crise climatique, toute une industrie de l’élimination du carbone devra se développer au cours des 10 à 20 prochaines années, créant des capacités de capture et stockage du carbone de l’ordre de plusieurs gigatonnes d’ici à 2050 ».

La capture du CO2 recouvre deux procédés de nature très différente, à savoir la capture et le stockage lors de processus industriels (CCS ou Carbon Capture and Storage) et la capture dite directe dans l’atmosphère (DAC ou Direct Air Capture). Le CCS comme son nom l’indique capte dans les usines (cimenteries, hauts fourneaux, raffineries, centrales…) le carbone émis par la combustion des énergies fossiles ou par les procédés industriels avant qu’il ne se répande dans l’atmosphère. Il existe également une variante du CCS dite CCUS (Carbon Capture, Utilisation and Storage). Elle consiste à utiliser pour la fabrication de matériaux tout ou partie du carbone capturé lors des processus industriels.

Le CCS se développe plus rapidement

Le DAC est d’une toute autre nature. Il consiste à extraire le CO2 déjà présent dans l’air via de « grands ventilateurs » et des procédés chimiques. Ce COdans l’atmosphère très diffus – 420 parties par million, environ 0,04% –, ce qui rend cette technique à la fois énergivore et coûteuse. Mais à grande échelle, elle pourrait avoir un impact considérable sur le niveau de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et le climat. Le DAC est aussi indispensable à la fabrication d’électro-carburants synthétiques totalement décarbonés.

La technologie qui se développe le plus rapidement aujourd’hui est le CCS compte tenu des investissements industriels en cours. Ainsi, le mois dernier, la Norvège, la Suède, le Danemark et les Pays-Bas ont conclu un accord sur les protocoles techniques à respecter pour transférer du CO2 d’un pays à l’autre. Cela permettra de créer un embryon de marché. En Norvège, le projet phare « Northern Lights », porté par les géants pétroliers Equinor, Shell et TotalEnergies, devrait réceptionner à compter de 2025 du CO2 en provenance d’installations industrielles ou énergétiques pour le stocker indéfiniment au fond de la mer du Nord. Fin 2023 plus de 40 entreprises commerciales dans le monde capturaient un total de 45 millions de tonnes de carbone selon l’AIE. Soit environ 0,1% des émissions annuelles mondiales. Pour atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050, le CCS devrait empêcher 1,3 milliard de tonnes d’émissions de CO2 par an d’ici 2030, soit 30 fois plus qu’actuellement, estime l’agence.

Des projets aux Etats-Unis, au Canada, en Norvège, au Kenya

Pour en revenir au DAC, à l’Islande et à Mammoth, le CO2 capturé par Climeworks ne sera pas réutilisé, mais lui aussi stocké indéfiniment. Il est compressé et injecté sous terre. A 700 mètres profondeur, il met environ deux ans à se minéraliser et est ainsi stocké durablement selon un procédé mis au point par la société islandaise Carbfix. Mais jusqu’à aujourd’hui seulement 10.000 tonnes de CO2 sont captés dans l’atmosphère par an dans le monde via de petites usines expérimentales, dont 4.000 par Orca.

Une fois pleinement opérationnel, Mammoth permettra d’en absorber 36.000 tonnes par an. Certains veulent y voir le point de départ d’une révolution. Comme le Docteur Jan Wurzbacher, le fondateur de Climeworks. « Nous sommes passés de quelques milligrammes de CO2 captés dans notre laboratoire il y a 15 ans à quelques kilos, puis des tonnes et des milliers de tonnes », explique-t-il. D’ici 2030, l’entreprise vise une capacité de plusieurs millions de tonnes. Cela restera une goutte d’eau face aux 40 milliards de tonnes de carbone émis l’an dernier par l’humanité. Mais Climeworks travaille sur trois projets aux Etats-Unis permettant chacun de capturer plus d’un million de tonnes de carbone et devrait construire également des usines au Canada, en Norvège et au Kenya.

D’autres technologies possibles moins coûteuses

Maintenant le modèle économique de Climeworks est très incertain. Son procédé consomme beaucoup d’énergie pour faire tourner ses énormes ventilateurs et génére des crédits carbone qui permettent à ses clients (Lego, Microsoft, H&M, Swiss Re, JP Morgan Chase, Lufthansa…) de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre.

Il y a en outre beaucoup d’adversaires à la capture du CO2. Ils considèrent, non sans raison parfois, que ces technologies embryonnaires sont des alibis utilisés particulièrement par l’industrie lourde et les producteurs de pétrole, de gaz et de charbon. Ce qui ne retire rien à la nécessité de les développer. Elles sont indispensables, parce que les technologies et les investissements disponibles d’un côté et les contraintes politiques et sociales de l’autre ne permettront pas de respecter les objectifs, irréalistes, de décarbonation des économies au cours des prochaines décennies.

Et puis, il y a d’autres modèles technologiques que celui de Climeworks. Heirloom, une autre startup, utilise de la poussière de roche en poudre pour aspirer le carbone. Certains chercheurs travaillent aussi sur des systèmes passifs capables de capturer le CO2 et de le libérer pour le stocker sans utiliser de grandes quantités d’énergie.

La rédaction