L’Union européenne (UE) a abandonné, très partiellement, l’interdiction de la vente de véhicules neufs à moteurs à combustion à partir de 2035, face au risque de destruction de l’industrie automobile et au refus d’une majorité des consommateurs de basculer dans l’électrique.
Mais cela ne suffit pas du tout à garantir un avenir aux constructeurs européens. Le principal problème réside dans leur incapacité à faire face à la concurrence chinoise et dans la confondante naïveté industrielle et géopolitique de l’UE. Les décideurs politiques européens doivent s’attaquer aux problèmes profondément enracinés de la compétitivité perdue de leur industrie en limitant une offre chinoise massivement subventionnée.
Si rien n’est fait pour retrouver une souveraineté technologique dans les batteries, les minéraux critiques et les processus de fabrication. Si rien n’est fait pour contrer les subventions publiques chinoises massives et continues à l’industrie automobile et le dumping résultant de la faiblesse entretenue du yuan. Si rien n’est fait pour soutenir et doper le marché électrique intérieur européen. Alors les revirements réglementaires, très limités au demeurant, ne changeront rien. Ils donneront un court instant l’illusion de faire quelque chose…
Aveuglement sur les ambitions chinoises
Rappelons qu’avec les mesures annoncées, les émissions moyennes des constructeurs européens devront passer de 110 g de CO2 émis au kilomètre par voiture neuve vendue en 2021 à 11g de CO2 en 2035… au lieu de 0g. On ne peut pas vraiment parler de révolution. Et sur le plan industriel, la « flexibilité » tant vantée n’avance à rien. Produire un moteur thermique en petites séries et conforme aux futures normes de CO2 coûte cher à concevoir et à homologuer. Maintenir des chaînes de fabrication, des compétences et des fournisseurs pour un volume réduit de ventes est économiquement absurde.
Plus grave encore, l’UE continue en fait à ne pas prendre la mesure des ambitions chinoises. Un aveuglement dont les conséquences sont lourdes. L’excédent commercial de Pékin avec l’Union s’est creusé pour atteindre près de 300 milliards de dollars cette année. Autrefois, c’était l’Allemagne qui inondait la Chine de voitures et de machines, mais la tendance s’est nettement et rapidement inversée depuis la pandémie de Covid-19. Les exportations allemandes de voitures vers la Chine ont chuté de 70% entre 2022 et 2024. Pour la première fois de l’histoire cette année, l’Union Européenne aura acheté plus de voitures à la Chine qu’elle ne lui en aura vendues.
Et toujours pour la première fois, la Chine produira cette année plus du double de la production automobile de l’UE. Selon les chiffres de l’ACEA (Association européenne des constructeurs automobile), la Chine aura fabriqué cette année sur son sol 12,97 millions de véhicules et l’UE 5,97 millions. Au cours du premier semestre de cette année, la production automobile européenne a baissé de 2,6%, tandis que celle de la Chine a bondi de 12,3%…
Laminer l’industrie automobile européenne
Pour faire face à cette crise, il faut d’abord regarder avec lucidité ses causes. Le constructeur chinois BYD, qui a détrôné Tesla en tant que premier fabricant mondial de voitures électriques, commercialise en Europe des véhicules électriques tels que la Dolphin Surf à moins de 23.000 euros. Cela s’explique par une avance technologique et industrielle, mais aussi par un dumping permanent construit à coup de subventions, de surcapacités et d’affaiblissement du yuan. Pour preuve, la Chine exporte plus de voitures à essence que de véhicules électriques. Cela montre ce que se refusent à voir les institutions européennes. Pékin a décidé de laminer l’industrie automobile européenne. Soit l’UE réagit, soit elle perd sa base industrielle automobile avec toutes les conséquences sociales, économiques et de souveraineté.
Tandis que les États-Unis se barricadent derrière des barrières douanières et que la Chine évince de fait les importations de l’UE, la faiblesse du marché automobile européen rend la situation encore plus impossible pour l’industrie européenne. La morosité économique, les prix élevés, la stigmatisation de l’automobile, les contraintes imposées par les institutions européennes et les gouvernements, la facilité d’usage moindre expliquent le manque d’enthousiasme flagrant des consommateurs pour les véhicules électriques.
Incapacité à comprendre les enjeux industriels
Les décideurs politiques européens ont besoin de plus que des revirements réglementaires à minima ou des lamentations publiques pour résoudre des problèmes dont ils sont en grande partie à l’origine. Ils doivent envisager des moyens plus courageux et efficaces pour limiter l’offre chinoise. Les droits de douane sur les véhicules électriques ont jusqu’à présent été trop modestes et trop tardifs, et n’ont pas couvert d’autres types de voitures comme les hybrides. L’UE devra également rechercher des alliés pour faire pression sur la Chine pour limiter la faiblesse entretenue de sa monnaie.
Dans le même temps, l’UE devrait également stimuler la demande sur son territoire. Un récent document publié par le Centre for European Reform propose d’étendre les subventions afin d’orienter la demande vers les véhicules électriques fabriqués en Europe et d’écarter la production chinoise en favorisant les chaînes d’approvisionnement à faibles émissions. Cela s’inscrit dans la logique de l’instauration l’année prochaine, confirmée par la Commission, d’une « préférence européenne » dans l’automobile, c’est-à-dire l’obligation pour les industriels bénéficiant de financements publics de se fournir en composants fabriqués en Europe. Mais une telle mesure se heurtera aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)…
En fait, l’erreur tragique de diagnostic en Europe sur l’automobile ne concerne pas le passage à la motorisation électrique. Il se fera tôt ou tard. Elle tient à l’incapacité de comprendre que l’Europe ne transformera pas son industrie automobile à marches forcées en la forçant à respecter des règles que ni les Chinois ni les Américains ne suivent. Tant que cet état d’esprit ne changera pas, modifier à la marge les interdictions pour 2035 n’aura aucun impact.














