Le projet Cigéo (Centre industriel de stockage en couche géologique profonde) situé à Bure dans la Meuse, où doivent être enfouis les déchets nucléaires actifs de vie longue pour des milliers d’années dans une couche d’argile de 130 mètres, vient de franchir une énième étape. Il s’agit de l’achèvement des expertises techniques nécessaires pour obtenir l’autorisation de construction du centre par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASNR). Le décret d’autorisation de création devrait pouvoir être signé fin 2026… Il était initialement prévu en 2020.
En 2016, on estimait que la construction pourrait débuter en 2019 et l’exploitation en 2025. Mais l’approche de responsables tétanisés par les risques politiques et sociaux réels et supposés a repoussé le début de la construction en 2028 et l’arrivée des premiers colis en 2050… Cependant, rien n’est moins sûr. Ce sont les projections du dernier rapport remis au ministre de l’Industrie le 12 mai 2025 sur l’estimation du coût de la gestion des déchets sur cent cinquante ans.
En fait, le report permanent des objectifs de construction et d’exploitation conduit à douter de l’aboutissement de Cigéo un jour. Un processus sans fin qui contraste avec l’efficacité des décisions prises en Finlande et en Suède pour faire aboutir leurs deux projets de stockage géologique.
Contesté par des scientifiques antinucléaires, les écologistes radicaux et des associations locales, le projet Cigéo doit accueillir – dans près d’un millier d’alvéoles de stockage construites dans 270 km de galeries – les déchets nucléaires de haute et de moyenne activité de vie longue. Ils sont séparés des combustibles usés par les opérations de retraitement, puis conditionnés pour les premiers par vitrification dans des verres, et pour les seconds dans du bitume et du ciment. Les deux types sont placés ensuite dans des conteneurs en acier inoxydable.
Une poursuite sans fin de l’exemplarité
Le projet, mené par l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra), a maintenant une longue histoire conflictuelle marquée par la profonde méfiance entre les acteurs de la gestion des déchets nucléaires et les diverses parties prenantes, à savoir scientifiques antinucléaires dits « engagés », notabilités diverses, associations locales renforcées par les activistes écologistes bien connus.
L’année 2017 a vu ainsi des manifestations locales intenses avec occupation des installations de surface dans l’ambition d’en faire une ZAD (zone à défendre) de plus. Au niveau national, le projet s’est heurté à la résistance d’une minorité active antinucléaire bien décidé à retarder et saboter le projet et à ne pas accepter le moindre compromis, contrairement à ce que l’on a pu observer en Suède par exemple. Dans ce pays, les opposants ont finalement accepté le lancement du projet en 2022, après examen de leurs objections par le gouvernement et l’autorité de sûreté.
Les opposants en France ont vu leur stratégie d’obstruction grandement facilitée par l’extension kafkaïenne des procédures participatives. Cette inflation des consultations à rallonge a donné libre cours à un foisonnement permanent de critiques sur toutes les incertitudes de long terme et les scénarios catastrophe imaginables. Ce qui, pour un projet qui s’inscrit dans une échelle de temps multiséculaire, est aisé à trouver. En fait, quelles que soient les bonnes volontés et les intentions de satisfaire d’éventuelles préoccupations légitimes, le débat n’a mené nulle part. Les opposants n’ont qu’un objectif, empêcher Cigéo par tous les moyens dans une démarche politique, idéologique et émotionnelle.
Les nouvelles exigences imposées au fil des années par l’ASNR n’ont ainsi jamais fait reculer les critiques. Compte tenu de sa mission fondée sur le principe de précaution, elle a répondu aux inquiétudes avec des études complémentaires qui n’ont convaincu personne.
La CNDP (Commission nationale du débat public) a ainsi organisé des débats avant chaque loi ou plan de gestion des déchets. En 2005 sur les options de gestion des déchets, en 2013 sur le projet Cigéo proprement dit et en 2019 sur le plan national de gestion des déchets.
La volonté naïve ou hypocrite d’éviter les oppositions a conduit à ajouter encore et encore des instances d’évaluation et de coordination. La loi Bataille de 1991 a mis en place une Commission nationale d’évaluation (CNE) dont la mission est d’évaluer annuellement l’état d’avancement des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets nucléaires. Sa mission a été élargie à tous les aspects du projet Cigéo par la loi de 2006.
Le conflit a monté en intensité en 2013 lors de la consultation publique ouverte sur Cigéo. En raison de l’obstruction des opposants locaux et des activistes nationaux, la CNDP a dû transformer la consultation en un débat d’experts en ligne, pendant qu’elle installait une conférence locale des citoyens tirés au sort. Cette consultation en ligne a permis l’intervention d’experts militants antinucléaire, dont la légitimité s’est trouvée ainsi reconnue tant par l’Andra que par l’ASNR (ASN à l’époque).
L’Andra elle-même, devenue une « autorité indépendante », s’est investie de la mission d’être à l’écoute des opposants et de toutes les objections plus ou moins sérieuses des scientifiques engagés. Elle a proposé à chaque étape du processus plusieurs options au choix du gouvernement et du Parlement, ce qui a compliqué encore un peu plus la préparation du projet.
Lors de la loi Bataille de 1991, il a été question des différentes options de gestion des déchets (transmutation des déchets par des réacteurs à neutrons rapides, stockage géologique profond et stockage en sub-surface). Dans la loi de 2006 qui entérine le choix du stockage profond, a été inscrite l’étude d’une option de réversibilité censée « permettre aux générations futures de choisir à chaque phase entre la poursuite de la construction et de l’exploitation du stockage, et réexaminer les choix antérieurs et modifier les solutions de gestion ». Elle a été retenue dans la loi de 2016 qui porte sur les modalités de création de Cigéo.
Évidemment, l’option de réversibilité n’a pas permis d’avancer vers le consensus, au contraire… Elle a seulement largement compliqué la conception du projet et retardé la demande d’autorisation de construction.
L’étirement des délais… pour retarder la prise de décision
Plusieurs des problèmes montés en épingle par les opposants ont pourtant été pris en compte très attentivement au point de considérablement ralentir la préparation du projet. Ce qui était le but de la manœuvre. Il s’agissait notamment de possibilités d’infiltration d’eau dans la couche d’argile (pourtant par nature totalement imperméable), celles de fracturation de cette même couche d’argile par séisme ou lors des travaux d’excavation, de la dégradation du conditionnement des déchets avec apparition d’hydrogène (une source potentielle d’explosion) qui serait produit par radiolyse de l’eau en étant encore contenue dans le béton du conditionnement des colis de moyenne activité, ainsi que les possibilités d’incendie qui pourrait être provoqué par la chaleur émise par ces mêmes colis entourés de bitume, par inflammation de celui-ci. Pas étonnant si l’Andra n’a pu déposer son dossier de demande d’autorisation de création qu’en 2023 au lieu de 2019 comme prévu.
Et maintenant ?
Avant la décision d’autoriser la construction, le projet sera soumis à une nouvelle enquête publique fin 2026. L’autorisation de construction est attendue fin 2027 et le début de la construction en 2028 qui ouvrira sur la phase industrielle pilote à partir de 2035. La mise en œuvre du projet sera ensuite jalonnée de divers points de rendez-vous…
On prévoit des essais in situ à taille réelle pour confirmer le bien-fondé des solutions techniques retenues (étanchéité de la couche d’argile, méthodes de construction, procédés d’exploitation, possibilités de réversibilité, scellements en vue de la fermeture) et, si nécessaire, les faire évoluer. On y testera en situation réelle les mesures prises pour maîtriser les risques d’exploitation et assurer la surveillance du stockage, vérifier le bon fonctionnement des équipements, et confirmer les modes opératoires ainsi que la capacité à retirer des colis stockés pendant la phase d’exploitation.
Un processus aberrant
La volonté évidente de dialogue et de répondre aux objections techniques aurait dû amener à ce qu’un consensus se forme progressivement, comme en Suède et en Finlande. Mais l’intégration au processus d’experts opposés par principe au projet et exigeant la suppression impossible de toutes incertitudes dans le très très long terme ne l’a pas permis. D’autant plus que l’ASNR a joué un jeu ambigu et encouragé toutes les objections en demandant des études complémentaires ainsi qu’en considérant que toutes les incertitudes n’étaient pas ramenées à un niveau raisonnable. Quant à la démarche de l’Andra consistant à amadouer les oppositions par une surenchère dans la transparence, elle a facilité la mise en place de freins règlementaires et procéduraux.
Résultat de la démagogie et de de l’irresponsabilité, le coût du projet n’a cessé d’enfler. Selon les dernières estimations, le total des dépenses non actualisées de la construction progressive de Cigéo, de sa maintenance et de son exploitation sur la centaine d’années de fonctionnement, est passé de 31 milliards d’euros 2025 estimé en 2016 à 46,5 milliards d’euros 2025 selon la note de l’Andra de mai dernier.
Et ces dépenses pharaoniques donnent des arguments supplémentaires à ceux qui cherchent à délégitimer l’option nucléaire. Qu’on se rassure tout de même, si les opposants à Cigéo n’arrivent pas à leur fin et à détruire le projet, les dépenses du stockage des déchets du parc nucléaire français ne pèseront pas plus de 1 ou 2 % de la facture des consommateurs d’électricité, soit un à deux euros par MWh nucléaire.
Chronologie du projet de gestion des déchets nucléaires de vie longue
Étapes passées
- La loi Bataille. Tournant participatif et programme de quinze ans pour explorer des solutions de gestion des déchets
Indépendance de l’Andra, l’agence gestionnaire de l’ensemble des déchets radioactifs
- Le choix du site de Bure-Saudron en Meuse/Haute-Marne parmi quatre sites pour un laboratoire souterrain
- Premier débat public organisé par la CNDP sur la base des recherches menées dans le cadre de la loi Bataille
- Le Parlement vote une loi choisissant le stockage profond
- Présentation du projet Cigéo sur la base des études menées dans le laboratoire souterrain
- Deuxième débat public de la CNDP
- Loi sur les modalités de création de Cigéo avec choix de l’option de réversibilité
- Forte opposition sur le site et blocage administratif d’acquisition de terrain par l’Andra
- Instruction du dossier d’option de sûreté
- Débat public de la CNDP sur le plan national de gestion des déchets nucléaires (DGEC et ASN)
- Déclaration d’utilité publique (DUP) et création d’une opération d’intérêt national
- Dépôt du dossier de demande d’autorisation de création (DAC)
2023-2025 Examen du dossier de sûreté
Étapes à venir
Fin 2026. Nouvelle enquête publique
Fin 2027. Autorisation de création
2028-2035. Construction initiale et phase industrielle pilote (PhiPil)
- Début de l’exploitation industrielle
Vers 2170. Fermeture de Cigéo














