Transitions & Energies
Aerial_view_of_the_Amazon_Rainforest Wikimedia

Ce que l’homme a fabriqué pèse aujourd’hui sur terre autant que la biomasse vivante


Une étude publiée dans la revue Nature par une équipe de scientifiques de l’Institut Weizmann en Israël montre que toutes les constructions et productions humaines ont atteint cette année une masse équivalente à celle de tous les organismes vivants existant sur Terre. Et cette évolution est loin d’être terminée. L’humanité construit, avec de l’énergie, des bâtiments, des monuments, des routes, des véhicules, des produits… à un rythme qui double tous les 20 ans

Les faiblesses humaines ont toujours été la raison première des progrès de notre espèce. N’ayant ni la vitesse, ni la force, ni les dents et les griffes pour chasser des proies importantes, nos lointains ancêtres ont inventé les lances, les couteaux en silex et les grattoirs pour dépecer. N’ayant pas la peau épaisse, nous avons récupéré et utilisé la fourrure des autres animaux. Des centaines de milliers d’années plus tard, nous sommes devenus sédentaires et avons construit des maisons en pierre pour mieux nous abriter, des charrues pour cultiver la terre et des chariots à roues pour transporter les récoltes. Nous avons créé de petites oasis de civilisation humaine arrachés à une nature sauvage et hostile. L’homme était faible et devait sa survie à son ingéniosité et sa capacité à créer des communautés solidaires.

Une planète reconstruite par les hommes

Les progrès scientifiques et la conquête de sources d’énergie toujours plus puissantes, notamment au cours des deux derniers siècles, ont changé tout cela. Ils ont donné à l’humanité une capacité sans précédent à façonner son environnement. Une étude publiée dans la revue Nature par une équipe de scientifiques de l’Institut Weizmann en Israël est venue en apporter, si besoin en était, la preuve. D’après leurs calculs, toutes les constructions et productions humaines ont atteint cette année une masse équivalente à celle de tous les organismes vivants existant sur Terre.

Et c’est loin d’être terminé. L’humanité continue à se multiplier et à s’implanter sur la planète tandis que la place laissée à la nature diminue. Le fameux scénario de science-fiction d’une planète conçue et construite «artificiellement» est en train de se réaliser sous nos yeux… pour le meilleur et pour le pire.

9 millions d’espèces biologiques

Selon les calculs des chercheurs de l’Institut Weizmann, l’humanité construit des bâtiments, des monuments, des routes, des véhicules, des produits… à un rythme qui double tous les 20 ans et crée «une jungle de béton» dont la masse devrait dépasser d’ici 2040 deux tératonnes (2 mille milliards de tonnes), soit plus de deux fois la masse des être vivants sur terre.

Ces calculs sont difficiles à réaliser. Cela fait plusieurs années que les scientifiques de l’Institut Weizmann cherchent à mesurer la masse que représente toute la vie sur terre, ce qui comprend les poissons des océans, les microbes dans le sol, les arbres, les oiseaux, les insectes et évidemment beaucoup plus de formes de vie. Il y a au moins 9 millions d’espèces biologiques. Ils sont arrivés à la conclusion que la biosphère représente (sans eau), un peu moins de 1,2 tératonne, les arbres en sont la majeure partie. Cette masse était environ deux fois plus importante avant que les humains commencent la déforestation des continents et elle continue à diminuer.

Une incroyable accélération depuis 1950

Les chercheurs se sont aussi penchés sur les statistiques de production industrielle et ont reconstruit la croissance depuis le début du XXème siècle de ce qu’ils appellent la «masse anthropogénique». C’est-à-dire tout ce que les hommes construisent et fabriquent, les bâtiments de toutes sortes, les routes, les ponts, les avions, les voitures… Tout cela peut se réduire à du ciment, des briques, du gravier, des matériaux de construction, du métal, de l’asphalte et du plastique même s’il occupe une part mineure en terme de poids.

Tout a changé après la seconde guerre mondiale avec l’accélération de la croissance démographique de l’humanité, de son accès à une énergie abondante et de sa prospérité matérielle. La masse construite par les hommes représentait 35 milliards de tonnes en 1900. Elle avait à peu près doublé 50 ans plus tard. Et puis, il s’est produit une incroyable accélération. La masse produite par l’humanité a atteint 500 milliards de tonnes (un demi tératonne) à la fin du XXème siècle. Et au cours des 20 dernières années, cette masse a plus que doublé pour être l’équivalent de celle de la vie sur terre.

Les scientifiques de l’Institut Weizmann ont bien cherché à distinguer ce qui est proprement le fruit de la production humaine. Ils n’ont pas inclus les masses de terres et de rochers déplacés qui ont certes bouleversé les paysages et les environnements mais n’ont pas modifié les masses existantes sur la planète. Ils n’ont pas tenu compte non plus des masses de roches extraites et rejetées dans les processus miniers.

Une nouvelle responsabilité

Cette étude démontre une chose. Depuis le milieu du siècle dernier, l’humanité a véritablement transformé la Terre. Ce que résume le Professeur Ron Milo qui a dirigé l’équipe de chercheurs. «L’étude fournit une sorte de vue d’ensemble de la planète en 2020. Elle peut fournir une compréhension cruciale de notre impact majeur dans la formation du visage de la Terre à l’ère actuelle de l’Anthropocène. Le message adressé à la fois aux décideurs politiques et au grand public est que nous ne pouvons pas considérer notre rôle comme mineur par rapport à l’immense Terre. Nous sommes déjà un acteur majeur et cela implique une responsabilité partagée».

La rédaction