Pour obtenir de haute lutte que le nucléaire soit qualifié en Europe de source d’énergie « durable » car bas carbone, ce qu’il est sans contestation possible, et bénéficier ainsi d’avantages financiers, il a fallu admettre en 2022 les diktats de l’Allemagne et de la Commission européenne et considérer aussi le gaz naturel comme un combustible « durable » de « transition ». Parce que la stratégie de transition énergétique allemande, la fameuse Energiewende, nécessite de remplacer les centrales à charbon et au lignite par des centrales à gaz.
Il est vrai que le gaz émet environ deux fois moins de CO2 que le charbon et que les turbines à gaz modernes ont un rendement énergétique élevé de l’ordre de 60%. Elles ont aussi et surtout la capacité d’être activées en quelques minutes ce qui en fait le complément idéal des renouvelables intermittents éolien et solaire pour réussir à stabiliser et sécuriser les réseaux électriques.
Le combustible de transition
Cela fait des années que le gaz naturel est ainsi présenté comme un combustible de transition devant jouer un rôle essentiel dans le passage progressif vers la production d’électricité bas carbone. Si le charbon reste de loin le combustible fossile le plus important dans la production d’électricité assurant 35% de la production mondiale en 2024, le gaz naturel arrive en deuxième position avec 20%. Le gaz remplace rapidement les centrales au charbon… dans les pays occidentaux. Et cela explique en partie, avec la désindustrialisation et la montée en puissance des renouvelables, la baisse des émissions de CO2 de pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Espagne.
Le gaz est aussi considéré comme un moyen efficace de répondre à la forte croissance dans le monde de la demande d’électricité liée, entre autres, à la multiplication des centres de données pour l’Intelligence artificielle, aux crypto-monnaies et à la production d’hydrogène vert par électrolyse. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la demande mondiale d’électricité a augmenté de 4,3% l’an dernier à comparer à 2,5% en 2023.
Emissions de méthane, capacités de production des turbines
Maintenant, le gaz naturel est loin de n’avoir que des avantages. Il faut le produire et le transporter, ce qui, notamment pour le GNL (Gaz naturel liquéfié), émet énormément de méthane, un gaz à effet de serre bien plus puissant que le carbone. Mais surtout, il fait face aux limites grandissantes de capacités de fabrication des équipements et à l’envolée des prix du gaz, notamment parce qu’il s’agit de GNL pour les importateurs en Asie et en Europe.
Selon le cabinet Wood Mackenzie, le marché des turbines à gaz devrait faire face à de sérieux problèmes entre 2025 et 2040 en raison de la hausse des coûts, des contraintes de fabrication et de la concurrence des renouvelables. Wood Mackenzie souligne que les commandes mondiales de turbines à gaz ont bondi de 32% en glissement annuel au début de l’année 2025, mais cela ne pourra pas durer. L’augmentation des coûts d’investissement rend les équipements à gaz de moins en moins rentables. Les prix de l’électricité ne permettent plus de rentabiliser les centrales à gaz surtout quand elles sont utilisées épisodiquement en complément des renouvelables intermittents.
Un potentiel qui sera limité
Wood Mackenzie ajoute que les coûts élevés du gaz importé sont un défi pour l’Asie, en dépit de la forte croissance de la demande d’électricité dans la région, et que les objectifs de décarbonation de l’Europe l’amène à privilégier les renouvelables et le nucléaire. « La Chine mène le développement des capacités gazières en Asie-Pacifique, mais elles devraient rester marginale jusqu’en 2040. L’Inde se concentre sur le charbon et les énergies renouvelables, tandis que le Japon et la Corée du Sud remplacent les turbines à gaz qui partent à la retraite », écrit Wood Mackenzie. Le cabinet souligne aussi que la stratégie de transition énergétique de l’Europe privilégiant les renouvelables intermittents pose de sérieux problèmes de rentabilité aux futures centrales à gaz.
« Si les marchés auront besoin d’électricité produite à partir de gaz naturel dans le cadre de la transition énergétique jusqu’en 2040, le rôle du gaz a des limites », résume David Brown, directeur de la recherche chez Wood Mackenzie. « Les coûts élevés des combustibles dans certaines régions, l’augmentation des coûts de construction et la baisse continue des coûts des énergies renouvelables et du stockage de l’énergie limiteront le potentiel de croissance du gaz. »