Transitions & Energies

Concentration, construction en hauteur et infrastructures en sous-sol… Les contraintes de l’urbanisme monégasque face au défi de la transition énergétique.


Par Milena Radoman

Avec plus de 19 000 habitants au km2, Monaco est à la fois l’un des plus petits – le deuxième après le Vatican ! – et des plus denses États au monde. C’est bien simple : Monaco construit à peu près 350 000 m2 tous les dix ans… Au total, la principauté a étendu son territoire de plus de 20 %. En grignotant des mètres carrés sur la mer Méditerranée, elle est passée de 150 à 208 hectares du XIXe siècle à aujourd’hui. La ville-État n’a pas eu d’autre choix : après la sécession historique de Menton et Roquebrune en 1861, la principauté voit partir en fumée ses ressources agricoles et doit imaginer d’autres sources de revenus… La première extension en mer, qui date de 1907, remblaie la plage historique pour permettre le premier âge industriel de Monaco (avec notamment la première usine d’incinération, une brasserie et une minoterie). Cette opération, qui représente 6,2 hectares, reste la plus dense des extensions maritimes. Elle amorce une longue lignée, de 1910 à aujourd’hui, qui métamorphosera le port Hercule tout comme le littoral monégasque.

Rainier III, Prince Bâtisseur.

Prince bâtisseur, Rainier iii a mené tout au long de son règne cette politique de transformation de la principauté. « Il s’est donné pour grand dessein de moderniser le pays et de remodeler son territoire. Il en connaît les limites, réduites à 150 hectares depuis 1861. C’est donc par une emprise sur la mer qu’il imagine dès 1954 une croissance du territoire », explique ainsi le journaliste-écrivain Frédéric Laurent dans Monaco, le Rocher des Grimaldi (Gallimard). Sur le premier terre-plein du Portier, édifié entre 1958 et 1961, sera construit, à la fin des années 1990 le Grimaldi Forum, centre culturel et des congrès. Un vaisseau amiral de 70 000 m2 au design marqué, à base de béton, de verre et d’acier, plongeant à 18 mètres sous l’eau… À l’est, un deuxième terre-plein de 54 000 m2 permettra notamment l’aménagement d’une plage artificielle et la construction du sporting d’été, qui accueille les plus grandes stars, de Frank Sinatra à Rihanna, depuis les années 1970. Mais l’extension en mer la plus importante se passe à l’ouest. Elle change la physionomie du quartier de Fontvieille, avec un endiguement des plus complexes. Monaco bat même à l’époque un record mondial avec la réalisation d’une digue de 1 km de long, profonde de 35 à 40 mètres. Centre commercial, logements de luxe et réservés aux Monégasques, héliport, stade Louis II, abritant équipements sportifs mais aussi bureaux et locaux commerciaux… Sur ce nouveau quartier de 22 hectares, ce sont 350 230 m² de surfaces utiles en superstructures qui sont édifiées. « Ces travaux gigantesques apporteront au pays les moyens de son développement et de sa prospérité en livrant ces surfaces à l’essor immobilier, le pétrole monégasque », développe Frédéric Laurent. Avec le nouveau quartier Mareterra, livré d’ici 2025, Albert II de Monaco poursuit cette tradition de « Conquêtes pacifiques* ». Ce chantier pharaonique de 2 milliards d’euros permettra de gagner 6 hectares sur la mer et 60 000 m2 de constructions. Situé sur deux sites marins préservés, il a impliqué de déplacer un herbier sous- marin de 518 m2 de posidonie, plante servant de nurserie aux espèces aquatiques. La dalle repose sur un remblai de 1,5 million de tonnes de granulats et 50 000 m3 de sable. La ceinture de 18 caissons géants en béton armé délimitant l’extension en mer modifie concrètement les frontières physiques de la principauté…

Conquêtes souterraines, «  un coup de génie ».

À Monaco, la « révolution territoriale » ne s’est pas seulement produite en mer. La ville-État a également conquis des mètres carrés sous terre dès les années 1960. Sous le règne de Rainier iii, « des terrains sont gagnés sur la voie ferrée qui traverse la principauté, déportée plus au nord sous un tunnel de 3 km, libérant le front de mer, où une très importante implantation immobilière transforme de fond en comble la façade littorale », rappelle Frédéric Laurent. La mise en souterrain de la voie ferrée a démarré au début des années 1960, avant le transfert de la gare dans le profond vallon de Sainte-Dévote à la fin de la décennie 1990. « L’urbanisation souterraine est un véritable coup de génie du prince Rainier. La déviation souterraine de la voie SNCF va en effet permettre une vaste opération de couture urbaine, d’implantation de nouvelles constructions publiques et privées et d’amélioration du réseau urbain de la principauté. 135 000 m2 de planchers vont voir le jour sur les quatre hectares récupérés », analyse Séverine Canis-Froidefond, à la tête de la direction de la prospective, l’urbanisme et la mobilité (DPUM). C’est ainsi que Monaco a enterré ses routes, ses parkings et son incinération d’ordures gères. La circulation automobile, les galeries techniques, les ouvrages de transport sont, lorsque cela est possible, implantés en souterrain pour laisser place en surface à des fonctions plus « nobles » et des espaces libres. La principauté compte 1 480 bâtiments, qui représentent plus de 3 millions de mètres carrés de surface utile en superstructures, dont près de 61 % en logements et 11 % en bureaux. « Et de tout ce que l’on voit sur terre, il faut imaginer que la moitié de la surface est exploitée en sous-sol », sourit la directrice de la DPUM.

Renouvellement urbain.

Aujourd’hui, les terrains vierges se font rares à Monaco. « L’urbanisation de la principauté s’effectue au travers du renouvellement urbain. » De nouvelles constructions remplacent les anciennes, avec le jeu des démolitions-reconstructions. Y compris des bâtisses Belle Époque. La mode est aussi à la verticalité, en zone frontière. Monaco a ainsi autorisé la construction d’un gratte-ciel de 170 mètres d’altitude et 49 étages (10 niveaux de sous-sol), la tour Odéon. Son penthouse, perché sur le toit et doté d’une piscine à débordement et toboggan, est réputé pour être l’appartement le plus cher au monde… Confortant la réputation de l’immobilier monégasque, pilier du PiB du pays. Autre enjeu : Face au réchauffement climatique, l’urbanisme monégasque doit nécessairement « verdir ». Amélioration de la performance énergétique et environnementale de tous les bâtiments existants et à venir, politiques ciblant la rénovation du patrimoine, adaptation des modes constructifs aux spécificités climatiques locales (démarche Bâtiment durable méditerranéen de Monaco)… La principauté s’est engagée dans la transition énergétique, notamment dans les domaines de la construction et de la demande en énergie des bâtiments qui représentent respectivement 6,4 % et 35 % des émissions directes de gaz à effet de serre sur le territoire monégasque. Un plan de renaturation de la ville a été initié. « Les surfaces de voirie représentent environ 30 % de la superficie du territoire monégasque. Ces surfaces sont autant d’opportunités d’intégration et de développement de la biodiversité. Un objectif de renaturation d’au moins 20 % de ces surfaces a été fixé à l’horizon 2030, soit un gain de plus de 13 hectares d’espaces favorables à la biodiversité », a fixé la direction de l’environnement. Un préalable essentiel pour une principauté qui veut atteindre la neutralité carbone en 2050.

* initiée par la direction des affaires culturelles et préparée pendant deux années par Björn Dahlström, directeur du NMNM, l’exposition « Conquêtes pacifiques – Les extensions en mer à Monaco » explique comment Monaco a repoussé ses frontières.

La rédaction