L’un des principaux problèmes avec la transition énergétique tient à la façon dont elle est souvent présentée et orchestrée par les gouvernements, les institutions et les organisations politiques et militantes. Cela revient à additionner les contraintes, les procédures, les réglementations, les coûts de façon souvent chaotique et incohérente et à y ajouter en plus une dimension morale et stigmatisante. On cache souvent le manque de vision, de stratégie claire, l’incompétence et l’impuissance derrière la complexité. L’esprit technocratique se complaît dans cette complexité. Et dans le domaine de la transition énergétique, la technocratie dicte les règles… avec le succès que l’on connaît. Les exemples pullulent.
Il en va ainsi du trop fameux nouveau Pacte vert édicté en 2021 par la Commission européenne et qui faisait alors la fierté de la présidente de ladite Commission, Ursula von der Leyen. C’est un délire technocratique. Douze textes représentant des milliers de pages de nouvelles normes qui concernent presque tous les secteurs économiques. À tel point que la Cour des comptes européenne, qu’on ne peut soupçonner d’être un opposant systématique aux institutions européennes, multiplie les rapports qui sont de véritables réquisitoires contre ce nouveau Pacte vert. Non seulement les objectifs fixés sont inatteignables mais cette monstruosité bureaucratique est devenue un danger pour l’économie et la prospérité de l’Union européenne et de ses citoyens.
Les errements incessants en France de la rénovation énergétique des logements
Dans les rapports de la Cour des comptes européenne, tout y passe. Aucune des ambitions que ce soit dans le domainedes véhicules électriques et des batteries, des biocarburants, des énergies marines renouvelables, du gaz et de l’hydrogène vert ne sont en passe d’être atteintes ni même approchées. Dans chaque domaine, la Cour souligne que l’impulsion tarde à venir, la bureaucratie et les réglementations sont étouffantes, les projets trop peu nombreux et longs à se déployer, leur rentabilité incertaine et les investissements réalisés par trop peu de pays.
Plus proche de nous, en France, on ne peut que s’affliger des errements incessants depuis des années de la rénovation énergétique des logements et des dispositifs qui l’accompagnent (DPE, MaPrimRénov’), modifiés et amendés en permanence et toujours plus complexes et inefficaces, sans parler de la fraude. De quoi décourager toutes les bonnes intentions et les bonnes volontés.
Sans parler de l’envolée des coûts de l’énergie et plus particulièrement de l’électricité du fait de politiques énergétiques inconséquentes, irresponsables, dictées par des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général et les tentatives maladroites pour tenter d’en nier les conséquences ou de les masquer. Les factures d’électricité des particuliers et des petites entreprises ne cessent d’augmenter et d’être modifiées. Et tout cela sans mesurer que l’électrification des usages – la clé de voûte de la transition et de la décarbonation – n’a aucune chance de se faire si les prix de l’électricité s’envolent.
Revenir au principe simple
On peut y ajouter la volonté de transformer la civilisation des transports sans s’en donner ni le temps ni les moyens économiques, techniques et sociaux. Résultat, le marché automobile s’effondre, car les consommateurs sont perdus et une industrie majeure, confrontée à des contraintes insurmontables, est menacée de disparition en Europe.
Pour réussir la transition énergétique, il faut se débarrasser des stratégies inutilement complexes, incompréhensibles, à courte vue, dictées par des considérations purement idéologiques et politiques ou par des intérêts particuliers, et en revenir à son principe simple. Cela consiste à substituer des sources d’énergies bas-carbone aux combustibles fossiles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Rien de plus, rien de moins.
La simplicité permet « de déplacer des montagnes »
Imposer pour cela coûte que coûte des véhicules électriques à batteries dont les composants viennent pour la plupart de Chine et nécessitent pour leur fabrication des millions de tonnes de métaux et minéraux dits critiques ainsi que de l’électricité produite massivement par des centrales à charbon n’est pas forcément la meilleure solution. En tout cas dans un premier temps. Il aurait mieux valu demander aux constructeurs automobiles de commencer par fabriquer des véhicules à moteur thermique plus légers consommant très peu, 2 à 3 litres au 100 kilomètres. Ils auraient eu une bien meilleure empreinte carbone que les lourds SUV électriques et hybrides.
Il existe une règle essentielle fort bien résumée par le regretté Steve Jobs : « La simplicité peut être plus difficile que la complexité. Il faut travailler dur pour clarifier sa pensée et la rendre simple. Mais cela en vaut la peine, car une fois que vous y êtes parvenu, vous pouvez déplacer des montagnes. »
Des oppositions toujours plus grandes
La simplicité, ce n’est pas l’absence de processus, mais le contraire. Elle se construit à partir d’une ambition et d’une intention claires. Les technologies, les financements, les modèles et les décisions sont alignés sur un objectif commun que tout le monde partage et comprend.
Nous avons tous été confrontés à des processus d’une complexité inutile et décourageante. La plupart du temps, les conséquences sont les suivantes : les tâches prioritaires sont perdues de vue et négligées ; la confusion et l’inefficacité règnent ; il faut toujours mobiliser un plus grand nombre de ressources pour faire face à cette complexité ; et pour finir, il ne reste que de la frustration.
La complexité n’est pas une stratégie. La clarté, oui. Mener à bien des tâches ambitieuses ne nécessite pas de multiples niveaux hiérarchiques, mais un effet de levier et d’entraînement. Sinon, la complexité non maîtrisée crée des oppositions toujours plus grandes.
Le retour des Luddites
On le mesure aujourd’hui avec le rejet grandissant de la technologie qui est pourtant le seul moyen d’avoir une chance de réussir la transition. Revenir à l’économie d’autosuffisance du xixe siècle dont rêvent les décroissants est impossible. Pas avec 8 milliards d’êtres humains qu’il faut nourrir, soigner, chauffer, éduquer, transporter…
Et pour y parvenir, il faut de meilleures batteries, de meilleurs réacteurs nucléaires, de meilleurs réseaux électriques, de meilleurs panneaux photovoltaïques, de meilleurs moyens de capture et de stockage du CO2, de meilleurs moyens de produire des carburants synthétiques et de fabriquer du ciment, de l’acier, des engrais… Pourtant, le sentiment grandissant dans les pays développés et parmi les populations jeunes n’est pas qu’il faut mettre les bouchées doubles sur la recherche scientifique et technologique, mais qu’il faut les entraver.
La crainte d’un monde gouverné par l’arbitraire bureaucratique, administratif, technologique, de la disparition de nombreux métiers et de la destruction du tissu social provoque soit l’abattement… soit la révolte. Un peu sur le modèle, il y a un peu plus de deux siècles au Royaume-Uni, des tisserands, des selliers, des tricoteurs… qui ne voulaient pas voir leur artisanat et leur savoir-faire balayés par les premières machines à tisser et à tricoter. Ils se sont appelés les Luddites du nom de leur héros, sorte de Robin des Bois des artisans, Ned Ludd. Et ils ont été férocement réprimés par l’armée anglaise.
Stephen Hawking, Elon Musk et Bill Gates
Depuis, le terme de luddite est entré dans le langage courant et plus particulièrement celui de néo-luddites ou nouveaux luddites. Ils partagent une idée avec ledit mouvement : estimer que seule une action collective peut contrer le pouvoir de la technologie.
Et même des scientifiques et entrepreneurs aussi éminents que Stephen Hawking, Elon Musk et Bill Gates ont repris cette cause à leur compte. Il y a dix ans, en décembre 2015, ils avaient été nommés conjointement pour un Luddite Award. Il ne s’agissait pas vraiment d’une récompense mais d’une moquerie. Parce qu’ils s’étaient inquiétés publiquement des dangers potentiels de l’intelligence artificielle. Cette technologie est une menace, c’est indéniable. Mais seulement si nous ne nous donnons pas les moyens de la maîtriser. La peur n’évite pas le danger.














