Transitions & Energies
Méthane brulé lors de l'extraction de pétrole en mer de Chine

Les compagnies pétrolières sont les «méchantes» du climat, mais leur expertise est nécessaire pour faire de l’hydrogène vert une réalité


Au fil du temps, les grandes compagnies pétrolières et gazières vont cesser d’être seulement des producteurs de carburants fossiles et devenir des conglomérats énergétiques et chimiques dans lesquels le pétrole et le gaz ne représenteront qu’une petite partie de ce leur activité. Or, ces entreprises sont particulièrement bien placées, compte tenu de leurs moyens, de leur savoir-faire et de leur expérience pour faire de l’hydrogène vert et des produits chimiques verts une réalité.

Penser aux compagnies pétrolières et gazières et au réchauffement climatique est un bon moyen d’avoir les idées noires. Il est vrai qu’Exxon Mobil avait une connaissance étonnamment précise du réchauffement climatique dans les années 1970. Certaines ont pourtant semé le doute en finançant des organisations négationnistes du climat et des scientifiques et ont même inventé le greenwashing. La crise énergétique actuelle leur a permis de réaliser des profits exceptionnels. Et BP qui a dégagé des bénéfices de 27,6 milliards de dollars l’année dernière en a profité pour réduire ses ambitions vertes.

Mais ces compagnies ne vont pas disparaitre. Même quand nous aurons cessé de brûler du pétrole dans les moteurs, nous aurons besoin de pétrole et de gaz comme matières premières pour les plastiques, les colles, les solvants, la chimie industrielle, les engrais. Nous allons finir par trouver des alternatives vertes. Mais cela prendra des décennies.

Sont-elles des ennemis? Elles en ont certainement fait beaucoup pour ralentir la transition vers des énergies propres. Mais cela va changer et change. Au sein de ses entreprises, les gens savent que le changement est en marche. Les sociétés qui assument leur rôle en tant qu’entreprises énergétiques et chimiques à visions et ambitions plus larges feront la transition les premières. Et nous aurons également besoin de leur expertise et de leur capacité à gérer l’incertitude et les risques de grands projets pour faire de l’hydrogène vert et des produits chimiques verts une réalité.

Le pétrole et le gaz plutôt que le charbon

Si vous suivez les débats sur le changement climatique, vous avez forcément remarque que les plans pour se débarrasser du charbon reviennent bien plus souvent que ceux pour se débarrasser du pétrole et du gaz.

C’est parce que -pour le moment- nous sommes bien plus dépendants de ses hydrocarbures. Les énergies solaire et éolienne peuvent maintenant prendre le relais à mesure que les centrales au charbon vieillissantes sont mises à la retraite. Mais nous sommes encore loin de pouvoir nous passer de brûler du pétrole ou du gaz dans les transports ou dans l’industrie.

Cela signifie que les compagnies pétrolières et gazières seront avec nous encore pour des décennies. Mais au fil du temps, elles vont se considérer moins comme des producteurs de carburants fossiles et plus comme des conglomérats énergétiques et chimiques dans lesquels le pétrole et le gaz ne représentent qu’une petite partie de leur activité. Vous avez le droit d’être sceptique. Mais il y a des signes tangibles de changement.

Par exemple, Shell vient juste d’acheter un mégaprojet d’hydrogène vert à Oman dont elle sera l’opérateur principal. À la fin de l’année dernière, BP a acheté une participation majoritaire dans le plus grand projet d’énergie renouvelable d’Australie, l’Asian Renewable Energy Hub. S’il est construit dans son intégralité, ce projet générera l’équivalent d’un tiers de la production d’électricité de l’Australie en 2020.

Les majors pétrolières et gazières sont très bien placées pour fabriquer de l’hydrogène verte et des produits chimiques verts

 L’hydrogène est délicat à manipuler. L’élément le plus léger peut passer au travers de nombreux matériaux et s’échapper. Cela rend son stockage et son transport difficiles. Mais les compagnies pétrolières et gazières ont de l’expérience dans la manipulation de l’hydrogène. C’est parce qu’il est largement utilisé dans les raffineries de pétrole pour éliminer le soufre et pour contribuer à craquer le pétrole lourd en qualités plus légères. En fait, il est si utile que la majeure partie de l’hydrogène mondial est utilisée dans la production de pétrole. À l’heure actuelle, l’hydrogène est généralement fabriqué en craquant les molécules de gaz naturel, ce qui signifie qu’il contribue au réchauffement climatique.

Mais si nous trouvons le moyen d’extraire à bas coût l’hydrogène de l’eau de mer, cet hydrogène vert peut se substituer aux carburants fossiles. Pour y parvenir, nous allons avoir besoin des majors pétroliers et gaziers. Les réalités de l’hydrogène vert seraient décourageantes pour la plupart des entreprises. Les pipelines pour le transporter. Les façons de le stocker. Les pétroliers pour le transporter à travers les mers. Des projets lourds d’ingénierie nécessitant des dépenses d’investissement élevées.

Les compagnies pétrolières et gazières ont dû développer un grand nombre de nouvelles technologies pour continuer à extraire des carburants des puits, compte tenu de la quantité de pétrole et de gaz qui a déjà été exploitée et brûlée. Prenez la fracturation hydraulique, qui a été inventée par nécessité. Ou la capacité de forer du pétrole sous des kilomètres d’eau de mer dans des endroits comme la mer du Nord. Pour avoir une chance d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, nous aurons besoin de développer des moyens très importants. Si l’hydrogène vert ou l’ammoniac doit être réellement utile, nous en aurons besoin en très grande quantités.

Comment les compagnies pétrolières et gazières peuvent se réinventer?

Toutes les compagnies pétrolières ne sont pas les mêmes. Certaines vont continuer à forer pour trouver du pétrole tant qu’il y aura une demande. Et les compagnies détenues par des Etats comme Aramco par l’Arabie Saoudite sont la principale source de richesse de leur pays. Il est difficile d’imaginer qu’elles vont changer.

Mais certaines vont être capables de se transformer. Beaucoup de gens au sein de ces entreprises peuvent voir très clairement où va le monde –et le risque de disparaître si elles ne se réinventent pas. Les pionniers sont susceptibles d’en bénéficier le plus, s’ils utilisent leurs avantages pour aider à la transition. À l’heure actuelle, les sociétés pétrolières et gazières gagnent de l’argent en forant, en raffinant et en vendant du pétrole et du gaz pour le brûler dans des moteurs. Mais à mesure que la transition vers l’énergie propre va s’accélérer, il y aura de nouvelles opportunités.

Si une grande compagnie pétrolière trouve comment produire de l’hydrogène vert à grande échelle, elle pourrait tirer parti de son réseau d’entreprises intégrées, de la production au transport, en passant par les stations-service ou d’autres points de consommation. D’autres pourraient se lancer dans le carburant d’aviation synthétique ou se spécialiser dans la transformation de méthaniers en navires à hydrogène. Même après avoir remplacé les combustibles sales des secteurs des transports et de l’énergie, il restera de nombreux domaines, tels que la fabrication de produits chimiques. Sans engrais, nous aurions des rendements beaucoup plus faibles de nos fermes. On estime que l’équivalent de la moitié de la population mondiale dépend de la nourriture rendue possible par les engrais synthétiques. Ceux-ci proviennent du gaz naturel. De même, les peintures, les vernis, les colles et les plastiques ont actuellement besoin d’hydrocarbures comme matière première. Pour les remplacer, il faudra changer toute la chaîne.

Le pétrole et le gaz n’existent pas en vase clos

Pas plus tard que la semaine dernière, l’Union européenne a atteint l’objectif symbolique de 100 euros par tonne de carbone. À mesure que les prix du carbone augmentent, cela rend les projets de combustibles fossiles moins attrayants –et rendra l’économie de nombreux projets marginaux dans les énergies renouvelables, les produits chimiques verts et l’hydrogène viable. Vous et moi et la plupart des gens vivants avons bénéficié de l’énergie stockée intensivement dans les combustibles fossiles. Ils ont permis les énormes progrès de nos économies et de nos technologies depuis plus d’un siècle. Mais maintenant, leurs coûts induits sont évidents. Utilisons donc tous les outils dont nous disposons pour nous en débarrasser –même ceux  des méchants du climat comme les sociétés pétrolières et gazières.

Murray Shearer Professor of Hydrogen and Alternative Energy, CQUniversity Australia

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation (en anglais).

La rédaction