<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La bulle hydrogène a éclaté et… c’est finalement une bonne chose

4 septembre 2025

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La bulle hydrogène a éclaté et… c’est finalement une bonne chose

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L’hydrogène décarboné a été victime d’une bulle spéculative au même titre que l’internet à la fin du siècle dernier ou l’AI aujourd’hui. Cela ne veut pas dire qu’il ne s’agit pas d’un vecteur d’énergie qui présente des avantages considérables pour décarboner de nombreuses activités, mais qu’en faire un écosystème compétitif nécessite des années et surtout des projets réalistes. Le tri est en train d’être fait entre les rêves éveillés et des investissements sérieux adossés à des processus industriels existants, à des coûts acceptables et avec un vrai marché. Pour devenir crédible, l’écosystème de l’hydrogène bas carbone n'a pas besoin d'un millier de projets grandioses mais de quelques dizaines qui réussissent.

La transition énergétique comme toutes les ruptures économiques et technologiques est marquée par des périodes d’engouement et d’euphorie irrationnelles et de la même façon de rejets tout aussi excessifs. Tout cela est la conséquence de la recherche absurde de solutions miracles. Elles n’existent pas. L’hydrogène apporte une parfaite illustration de ce travers. Dans sa version décarbonée, hydrogène vert, il a été considéré il y a quelques années comme une réponse à tous nos problèmes ou presque : le stockage de l’électricité, la décarbonation des transports lourds sur longue distance, le substitut aux combustibles fossiles dans l’industrie lourde et le moyen de produire en masse des carburants synthétiques décarbonés.

Toutes ces possibilités pourront éventuellement se concrétiser un jour. Mais il faudra entretemps construire de toutes pièces une filière industrielle planétaire compétitive avec des technologies matures. Rien de cela n’existe et n’est pas près d’exister demain. L’hydrogène vert reste pour un grand nombre d’usage le seul substitut possible aujourd’hui aux combustibles fossiles, mais il est fabriqué en très petites quantités et à des coûts exorbitants. Faute de marchés et de clients, de nombreux projets annoncés en fanfare il y a quelques années ont été abandonnés. Et c’est finalement une bonne nouvelle. Car ne subsistent et ne subsisteront que les projets économiquement et techniquement réalistes. Si l’économie de l’hydrogène se construit un jour, ce sera comme cela. Pas avec des rêves éveillés et des impulsions de technocrates et de politiques totalement étrangers aux réalités de la production.

La demande n’existe pas

Premier constat, entre 2021, quand la fièvre de l’hydrogène s’est emparée des gouvernements et des médias (y compris de Transitions & Energies), et aujourd’hui, la demande en hydrogène bas carbone n’a pas vraiment décollé. Elle représentait un peu moins d’un million de tonnes en 2023 sur une demande mondiale totale de 97 millions de tonnes produite en écrasante majorité avec du gaz et du charbon. Le rapport Hydrogen Insights 2024 souligne que la capacité mondiale de production d’hydrogène vert ayant franchi le stade de la décision finale d’investissement a bien été multipliée par sept en quatre ans. C’est vrai. Mais cela reste très modeste : environ 20 GW d’électrolyseurs à l’échelle mondiale.

En Europe, 3 GW de capacité d’électrolyse ont franchi le cap de la décision finale ce qui devrait permettre de produire environ 415.000 tonnes d’hydrogène renouvelable par an. L’hydrogène bleu, technologie plus compétitive passant par la capture du carbone après production de l’hydrogène avec du gaz, n’a vu qu’environ 400.000 tonnes par an atteindre le stade de la décision finale tandis que plus de 1,4 million de tonnes par an de projets ont été annulés. De grandes idées qui n’ont pas survécu à la feuille de calcul et aux réalités économiques.

Des projets plus ancrés dans la réalité

Mais ce n’est pas une raison pour tirer un trait sur l’hydrogène bas carbone, qu’il soit vert ou bleu. Car les projets qui vont de l’avant sont mieux pensés, plus ancrés dans la réalité et contribuent véritablement à la décarbonation.

Prenons l’exemple du projet Yuri d’Engie à Pilbara, en Australie occidentale, qui a obtenu la décision finale d’investissement en septembre 2022. La première phase comprend un électrolyseur de 10 MW alimenté par 18 MW d’énergie solaire et soutenu par une batterie de 8 MW. Il produira environ 640 tonnes d’hydrogène renouvelable par an qui alimentera la production d’ammoniac de Yara. L’ammoniac est un produit essentiel car il permet la fabrication des engrais azotés sans lesquels il n’est tout simplement pas possible de nourrir l’humanité. Le projet Yuri n’est pas spectaculaire, mais il fonctionne. La demande existe et la construction est en cours.

En Europe, Engie a également donné son feu vert à sa part du projet de pipeline mosaHYc, un réseau transfrontalier d’hydrogène de 110 millions d’euros entre la France et l’Allemagne. La décision finale d’investissement a été prise en avril 2024 et la construction doit commencer cette année. Ce projet est un élément d’un réseau de transport d’hydrogène plus vaste de 700 kilomètres qu’Engie ambitionne de construire d’ici 2030.

Ammoniac vert

Toujours à l’horizon 2030, le corridor H2Med/Barmar, qui reliera Barcelone à Marseille, vise à transporter jusqu’à 2 millions de tonnes d’hydrogène par an, soit environ 10% de la demande européenne prévue. La coentreprise à l’origine de ce projet, dirigée par Enagas, Natran (une filiale d’Engie) et Terega, doit prendre une décision finale d’investissement en 2028 et bénéficie déjà d’un financement de l’UE.

Autre projet qui semble solide, celui du terminal de conversion d’ammoniac en hydrogène de Hoegh Evi à Lubmin, en Allemagne. L’ammoniac est beaucoup plus facile à transporter sous forme liquéfiée que l’hydrogène. L’hydrogène devient liquide à -253 degrés Celsius et l’ammoniac a -33 degrés Celsius, cela fait une sacrée différence. L’ammoniac vert fabriqué assez facilement avec de l’hydrogène vert sur des lieux de production où l’électricité renouvelable est produite en abondance à faibles coûts est le moyen de créer un éventuel marché mondial de l’hydrogène bas carbone. La décision finale d’investissement doit être prise d’ici la fin de l’année. Le projet consiste à craquer l’ammoniac importé pour produire de l’hydrogène destiné au marché allemand, à un prix compris entre 3 et 3,50 dollars le kilogramme d’ici 2027, soit bien en dessous du coût actuel en Europe qui se situe entre 8 et 10 dollars le kilogramme.

Hydrogène bleu plutôt qu’hydrogène vert

Pourquoi ces projets sont intéressants. Parce que ceux qui étaient bien plus ambitieux et ont échoué n’avaient souvent pas beaucoup de sens sur le plan économique. Ils misaient sur une échelle massive, une technologie non éprouvée et des débouchés incertains. Les projets qui avancent actuellement sont liés à des processus industriels existants, tels que l’ammoniac, le méthanol, le raffinage et la sidérurgie, dans lesquels l’hydrogène est déjà utilisé et pour lesquels des alternatives à faible teneur en carbone sont nécessaires.

Il est possible de construire les premières briques d’un écosystème hydrogène dans des pôles industriels où les infrastructures existent déjà ou peuvent être modernisées et étendues. Sur la question cruciale du coût de production, l’hydrogène vert issu de l’électrolyse ne peut avoir un avenir que s’il est alimenté par de l’électricité bas carbone très bon marché. Sinon, l’hydrogène vert n’a aucune chance de devenir compétitif et les développements ne verront pas le jour. D’où les projets d’importation d’hydrogène fabriqué dans des pays du sud pouvant produire de grandes quantités d’électricité solaire à faibles coûts. Quitte à transformer l’hydrogène en ammoniac pour le transporter plus facilement. Pour l’hydrogène bleu, l’équation est un peu différente. La production d’hydrogène bleu en Europe permet aujourd’hui de produire un kilo d’hydrogène décarboné à un prix compris entre 3,76 et 4,41 euros. Cela reste cher mais nettement moins que l’hydrogène vert qui coûte entre 6 et 8 euros par kilogramme. Cela signifie qu’une mise à l’échelle et des progrès dans les process de capture du carbone peuvent faire de l’hydrogène bleu un mode de production qui deviendra, avec des subventions et des aides, relativement compétitif. Cela prendra du temps et tous les projets liés à l’hydrogène ne méritent pas de voir le jour. Mais il y a un chemin.

La bulle spéculative a éclaté

La ruée vers l’or de l’hydrogène au début des années 2020 a créé une bulle spéculative, comme celle de l’internet à la fin du siècle dernier ou de l’IA aujourd’hui. La correction est brutale mais nécessaire. Les projets qui n’ont aucune chance réelle de trouver des clients et ou des capitaux disparaissent plus ou moins discrètement. Ce n’est pas un signe d’échec mais de progrès.

D’ailleurs, les perspectives restent plutôt bonnes. D’après Commodity Insights, l’Europe compte à elle seule plus de 1,35 million de tonnes par an de projets d’hydrogène vert et plus de 2,4 millions de tonnes par an d’hydrogène bleu à un stade avancé de développement. Des projets qui ne verront pas tous le jour mais sont construits sur une appréciation plus solide des besoins et des coûts.

Ainsi, le financement allemand notamment par la banque publique d’investissement KfW du terminal Lubmin de Hoegh vise à permettre d’importer en Allemagne de l’hydrogène vert à des prix bien plus compétitifs que s’il était produit sur place. Et utiliser l’ammoniac est aussi lié à la volonté de contrôler les coûts de transport. C’est une décision pragmatique qui montre que les décideurs politiques commencent enfin à comprendre quand l’hydrogène peut être utile… ou pas.

L’économie de l’hydrogène telle qu’elle se dessine en Europe comme en Asie sera bien plus petite et moins ambitieuse que l’imaginait les projections farfelues faites il y a cinq ans. Peu importe. Si cela permet de remplacer peu à peu l’hydrogène produit avec du gaz et du charbon sans capture du CO2, de réduire les émissions de l’industrie lourde et d’apporter des solutions au transport lourd sur longue distance aérien comme maritime, ce sera déjà beaucoup. Pour devenir crédible, l’écosystème de l’hydrogène bas carbone n’a pas besoin d’un millier de projets grandioses mais de quelques dizaines qui réussissent.

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