<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Black-out espagnol, nous ne sommes pas à l’abri

1 décembre 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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Black-out espagnol, nous ne sommes pas à l’abri

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En dépit des dénégations, le black-out du 28 avril en Espagne et au Portugal est bien la conséquence d’une proportion très élevée, trop élevée, de production renouvelable intermittente qui ne contribue pas à la stabilité du système électrique, 70% au moment de la panne. Il n’y avait pas assez de moyens de production qui permettaient de contrôler la fréquence et la tension sur le réseau quand elles sont devenues trop instables. Par André Merlin. Article paru dans le numéro 27 du magazine Transitions & Energies.

Le 28 avril dernier, la péninsule ibérique tout entière a soudain été plongée dans le noir pendant plus de douze heures. Une coupure de courant massive sans précédent en Europe depuis 2003. Mais en identifier les causes réelles s’avère compliqué parce que la question est technique et parce qu’elle est devenue politique et même idéologique.

Le gouvernement espagnol ne veut pas que sa politique énergétique, qui privilégie les renouvelables intermittents, solaire et éolien, soit remise en cause par la fragilisation du système électrique du pays et donc par le black-out. Même l’enquête menée par l’ENTSO-E, l’organisme regroupant les gestionnaires européens de réseaux de transport d’électricité, s’est révélée difficile. Elle donnera ses conclusions définitives au premier trimestre de 2026. Rappelons que dix jours exactement avant le black-out, le 18 avril, l’ENTSO-E avait alerté sur les risques de surproduction solaire. Maintenant, les informations à notre disposition nous permettent tout de même de nous faire une idée relativement précise de l’enchaînement des événements du 28 avril.

D’abord, qu’est-ce qu’un black-out ?

Il s’agit d’une grande panne qui affecte le réseau électrique de tout un pays et même de plusieurs pays. Il conduit en quelques secondes à la mise hors tension du réseau. Tout s’arrête, les chemins de fer, les ascenseurs, les feux de signalisation, les systèmes de chauffage et de climatisation, les systèmes de paiements, les pompes des stations-service, les systèmes d’assainissement, et éventuellement, car ils ont en général des groupes électrogènes ou des batteries de secours, les systèmes de communication, les hôpitaux, les tours de contrôle des aéroports. Les black-out peuvent durer parfois plusieurs jours, c’est ce qui s’est passé par exemple aux États-Unis et au Canada en 2003.

Il s’est produit depuis une dizaine d’années un certain nombre de black-out qui sont en relation avec une proportion importante de renouvelables intermittents dans la production électrique. En 2016, cela a affecté l’Australie du Sud et le nouveau gouvernement a commandé des turbines à gaz de plusieurs centaines de MW pour stabiliser le réseau. Il y a eu l’année suivante un black-out à Taïwan. Compte tenu de ce qui s’est passé, le gouvernement taïwanais a alors renoncé à sortir du nucléaire. En 2019, il y a eu un black-out partiel au Royaume-Uni qui est lié à de l’éolien marin. Il y en a eu un autre sévère au Texas, en février 2021, provoqué par des tempêtes de neige et de grands froids qui ont bloqué les éoliennes. Cela a conduit cet État à revoir sa politique énergétique. Plus récemment, il y en a eu encore un en 2023 au Brésil lié à des dysfonctionnements d’éoliennes. Les deux tiers du pays ont été privés d’électricité pendant plusieurs dizaines d’heures.

L’enchaînement des faits

Pour en revenir au black-out de la péninsule ibérique du 28 avril 2025, il s’agit du plus important en Europe depuis celui en Italie en 2003. Ce dernier avait été provoqué par la surcharge d’une liaison entre l’Italie et la Suisse qui a provoqué des coupures en cascade. Cela a isolé l’Italie de ses connexions avec le reste de l’Europe et comme elle était très déficitaire en production, cela a mis par terre tout le réseau italien.

Maintenant, sur ce qu’il s’est passé en Espagne au printemps dernier, on commence à comprendre l’enchaînement des faits même si les rapports publics ne sont pas définitifs et manquent de clarté. ENTSO-E, que j’ai cofondé en 2001, a rendu un premier rapport d’étape en octobre en faisant preuve d’une extrême prudence.

Ce qui est clair est que le black-out est lié à une proportion très élevée de production renouvelable intermittente, 70% au moment de la panne dont 60% de solaire et 10% d’éolien. La part pilotable dans le mix électrique, c’est-à-dire hydraulique, nucléaire et cycle combiné gaz, était trop faible pour rétablir la situation.

Toute la matinée et même déjà lors des jours précédents, il y avait des oscillations importantes de fréquence sur le réseau. L’électricité est transportée en courant alternatif à 50 hertz. En Espagne, la fréquence était bien plus instable qu’en France ou en Europe, ce qui montrait une certaine fragilité. Et il y a eu aussi le 28 avril une instabilité de la tension qui a provoqué le déclenchement, l’arrêt d’urgence pour se mettre en sécurité, de trois centrales solaires importantes représentant au total une capacité de 2 000 MW. Ce qui n’est pas anodin. Mais l’Espagne n’avait alors pas suffisamment de moyens de production dits réactifs pour stabiliser la tension.

En cinq secondes, le réseau s’est effondré

La fréquence et la tension sont les deux faces de la transmission du courant alternatif. Il y a la puissance active et la puissance réactive. La puissance active est liée principalement à la fréquence du réseau et la puissance réactive à la tension. La puissance utile est la puissance active et la puissance réactive est une conséquence du fonctionnement en courant alternatif. Il faut maîtriser fréquence et tension pour éviter qu’elles s’écartent trop des valeurs de référence et endommagent les installations.

C’est justement ce qui est devenu incontrôlable le 28 avril en Espagne. Avec la mise en sécurité des trois centrales solaires, l’instabilité de fréquence a fortement augmenté. Cela s’est traduit par la coupure des liaisons aériennes haute tension entre la France et l’Espagne. Il existe des protections contre les ruptures de synchronisme. À ce moment-là, l’Espagne exportait de l’électricité qu’elle produisait en grande quantité par rapport à ses besoins en France, au Portugal et au Maroc.

Avec cette isolation du réseau espagnol du réseau européen, en cinq secondes, le système électrique ibérique a été mis hors tension. À 12 h 23 minutes et 20 secondes, les interconnexions ont été coupées et à 12 h 23 minutes et 24 secondes le réseau était à terre.

Il n’y avait pas assez de moyens de production en Espagne qui permettaient de contrôler la fréquence. La nature des productions a un rôle essentiel pour contrôler la fréquence et la tension. Ce que les partisans dogmatiques des renouvelables intermittents se refusent à admettre. On aurait pu éviter les phénomènes initiateurs avec des moyens de production qui auraient évité la montée en tension très rapide. Officieusement, les experts de Red Electrica, le gestionnaire du réseau électrique espagnol, reconnaissent l’origine du problème.

Fréquence, tension, intensité

La stabilité d’un grand réseau électrique interconnecté comme celui qu’on a en Europe qui s’est construit au fil des années tout au long du xxe siècle et continue à se développer, un des plus grands réseaux au monde avec le chinois, doit être contrôlée en temps réel. Elle l’est sur trois grandeurs.

D’abord la fréquence, qui varie en permanence dans de faibles proportions. Normalement, elle est de 50 hertz. Mais compte tenu des déséquilibres permanents entre production et consommation, elle dépasse 50 hertz quand la production est trop importante et descend sous ce niveau quand elle est insuffisante. Il faut absolument avoir des niveaux de réglage qui permettent d’éviter que l’écart de fréquence dépasse une certaine valeur de l’ordre de 1%. Cette fréquence est contrôlée, stabilisée et ajustée finement par les groupes turbo-alternateurs des centrales thermiques, nucléaires et hydrauliques sur tout le réseau européen. Ils sont connectés et réagissent aux impulsions pour augmenter ou baisser leur production dans un temps très court compris entre une et cinq secondes. Il y a en permanence 1 à 2% de la puissance de ces turbo-alternateurs réservée pour cette fonction. Une fonction que par nature les renouvelables intermittents ne peuvent remplir dans l’état actuel de la technique. Ils ne peuvent pas contribuer à la stabilité du réseau en fréquence. Car ils n’ont pas cette caractéristique des turbo-alternateurs, de l’inertie électro-mécanique qui sert d’amortisseur à la hausse et à la baisse de la fréquence.

La deuxième grandeur est la tension qui varie en fonction des flux d’électricité. Elle circule à 400 kv (kilovolt) et doit varier entre 400 et 410 kv. Pour maîtriser ce niveau de tension, on dispose de moyens de productions ou d’absorptions réactives sur les groupes turbo-alternateurs. Ce qui s’est passé en Espagne est qu’ils n’avaient pas assez de moyens de compensation réactifs. Ils n’avaient pas assez de turbo-alternateurs en production ni assez d’équipements qui sont des compensateurs synchrones, des machines qui tournent mais ne produisent pas de courant actif. En revanche, au Portugal, ils ont tenu la tension, ce qui a contribué à l’élévation encore plus importante de la tension en Espagne.

La troisième grandeur qu’il faut contrôler mais dans des délais plus longs est l’intensité sur les lignes électriques. Si elle dépasse un certain seuil, des protections conduisent à la mise hors tension de la ligne.

Pour résumer, pour garantir la stabilité des réseaux, il ne faut pas que la part des renouvelables intermittents dépasse 50% de la production en temps réel. Il y a évidemment des exceptions, notamment l’Allemagne qui est dans une situation très particulière. Elle bénéficie de la stabilité que lui fournissent tous les pays qui sont autour avec lesquels elle a de nombreuses interconnexions, (France, Pologne, République tchèque…), ce qui n’est pas le cas de la péninsule ibérique.

Le 1er avril dernier il y a eu une variation soudaine de puissance sur l’ensemble du réseau européen de 9 GW, ce qui est considérable. Cela démontre, si besoin en était, la fragilité accrue de tout le système électrique interconnecté européen.

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La rédaction

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