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Puit de pétrole Wikimedia

Même Aramco parle aujourd’hui de pic pétrolier (peak oil), le maximum de la consommation de pétrole dans le monde


Le «peak oil» (pic pétrolier) est un serpent de mer. Depuis près de 70 ans, il est annoncé à intervalles réguliers, par des experts, des scientifiques, le Club de Rome, des institutions internationales, des groupes écologiques… Mais la limite physique et économique de la production de pétrole n’a jamais été atteinte et est toujours repoussée. Les réserves théoriques d’or noir exploitable ne baissent pas. Ainsi, si la production de pétrole dit conventionnel a atteint un pic en 2006, l’exploitation intensive, notamment aux Etats-Unis, du pétrole de schiste a permis à l’offre de continuer à augmenter. Et selon les dernières projections de l’Agence Internationale de l’Energie, la consommation de pétrole ne devrait pas commencer à se stabiliser dans le monde avant les années 2030.

Jusqu’à aujourd’hui, le problème n’était pas de trouver plus de pétrole, mais d’avoir les moyens techniques d’aller le chercher et plus encore de le faire à des coûts acceptables par les consommateurs. Pour autant, et pour la première fois depuis un siècle, le monde commence, au moins dans les discours, à se détourner du pétrole. La question est à quel rythme et à quel horizon? Car le scénario aujourd’hui est celui d’un pic pétrolier lié à un recul de la demande et pas à celui de l’offre.

Pour l’agence Bloomberg, le pic pétrolier est sans doute bien plus proche que l’imagine les grandes compagnies pétrolières comme Exxon Mobil et Aramco du fait des progrès technologiques dans les énergies renouvelables et les véhicules électriques et de la menace du changement climatique. Bloomberg détaille 6 arguments en faveur d’un «peak oil» résultant d’un recul de la demande.

-L’importance des transports. Environ 60% du pétrole consommé dans le monde l’est dans les transports, un des domaines où les progrès techniques sont les plus rapides. Les véhicules électriques à batteries ou à pile à combustible fonctionnant à l’hydrogène vont dominer dans les prochaines décennies le transport sur les routes et il en ira de même pour le ferroviaire, le maritime et un jour l’aérien. Même Aramco, la compagnie nationale pétrolière saoudienne, la plus grande au monde, qui a longtemps nié la perspective d’un pic pétrolier, le cite comme un facteur de risque dans le prospectus présentant son introduction en Bourse.

L’offre de pétrole reste abondante. Le «peak oil» est un concept créé dans les années 1950 par le géophysicien Marion King Hubbert de la Royal Dutch Shell. Il prédisait que la production de pétrole atteindrait son maximum dans les années 1970 et que le monde allait alors manquer de brut. Cela ne s’est pas produit tout comme les nombreuses annonces dans les années 1970, 1980, 1990… de pic pétrolier. De nouvelles découvertes de gisements et les progrès technologiques pour récupérer beaucoup plus de pétrole des puits existants ont permis à la production de suivre la demande. Et depuis plusieurs années, elle continue de le faire grâce au pétrole de schiste. Mais les institutions et les experts pronostiquent maintenant une stabilisation et une baisse de la demande de pétrole dans le monde.

-Quand la demande va-t-elle baisser? Pour l’Agence internationale de l’énergie, le scénario le plus probable aujourd’hui est celui d’une stabilisation de la demande de pétrole dans les années 2030 et d’un reflux dans les années 2040. Ben van Beurden, le patron de Shell, estime que si les voitures électriques deviennent un produit de consommation courant, le pic pétrolier peut arriver dans les quinze prochaines années. L’expert pétrolier mondialement reconnu, Andy Hall, pense que le «peak oil» peut se produire dès 2030.

-Quelles sont les prévisions des compagnies pétrolières? La plupart ne voient pas un pic de consommation avant les années 2040. Les plus «optimistes» pour leur activité comme Exxon Mobil estiment avoir devant elles des décennies de croissance pour répondre aux besoins en énergie des classes moyennes qui se développent en Asie et en Afrique. Selon l’OPEP, la consommation continuera à augmenter au cours des deux prochaines décennies. Mais Aramco est devenue plus prudente, considérant que la demande pourrait faiblir au cours des 20 prochaines années.

-Comment expliquer de telles différences de prévisions? Elles tiennent évidemment aux intérêts des uns et des autres, mais aussi aux prévisions, difficiles à faire, du succès des véhicules électriques et des parts de marché qu’ils vont être capables de prendre. En 2017, l’Inde avait annoncé que toutes les voitures vendues dans le pays en 2030 seraient électriques. L’objectif a été ramené à 30%. La Chine a pour ambition d’avoir 60% des véhicules vendus en 2035 électriques à batteries ou à hydrogène. La France et le Royaume-Uni ont décidé d’interdire la vente de véhicules thermiques en 2040.

Quelles seront les conséquences économiques et politiques du reflux du pétrole? Au-delà de la baisse, particulièrement souhaitable, des émissions de gaz à effet de serre, le recul de l’industrie pétrolière aura d’autres conséquences. Il va se traduire par un affaiblissement des compagnies pétrolières, qui cherchent pour certaines à se reconvertir progressivement vers les énergies renouvelables et l’hydrogène. Les constructeurs automobiles font face aussi à un avenir incertain avec la contrainte de changer radicalement de technologies, d’investir considérablement pour cela, d’être dépendants des producteurs de batteries qui sont tous en Asie et d’être incertains sur l’appétit des consommateurs pour leurs nouveaux véhicules. Enfin, les risques politiques sont importants pour des pays dont l’économie est très dépendante de l’exploitation pétrolière à l’image de l’Arabie Saoudite, l’Irak, l’Iran, la Russie, le Venezuela, le Nigeria, l’Algérie…

La rédaction