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Plateforme pétrolière off shore wikimedia commons

A en croire l’AIE, le ralentissement de la demande et l’augmentation de la production vont stabiliser le marché pétrolier


L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a beaucoup changé au cours des dernières années devenant bien plus politique et bien plus préoccupée par sa présence dans les médias. Cela l’a conduit à multiplier les études annonçant des catastrophes et parfois… à se rétracter. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’AIE sonnait le tocsin et prévoyait un choc considérable sur le marché pétrolier du fait des sanctions contre Moscou. Dans sa dernière étude, elle change totalement d’avis et considère que le marché pétrolier va se stabiliser et l’écart entre la demande et l’offre disparaître. Reste à savoir si l’Agence ne passe pas d’un excès de pessimisme à un excès d’optimisme.

Il y a deux mois, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) tirait la sonnette d’alarme sur l’approvisionnement mondial en pétrole. Elle annonçait que les sanctions occidentales contre la Russie, après l’invasion de l’Ukraine le 24 février, allaient priver le marché pétrolier mondial de 3 millions de barils par jour sur un marché de 98 millions quotidiens en moyenne. Un déséquilibre entre la demande et l’offre qui allait provoquer une envolée des prix, des pénuries et une sévère crise économique. Depuis, l’AIE a totalement changé d’avis comme le souligne son dernier rapport.

L’Agence estime que le ralentissement de la demande et l’augmentation de la production par plusieurs pays exportateurs vont permettre de faire face aux conséquences des sanctions. Le déséquilibre potentiel entre la demande et l’offre sera surmonté. «Au fil du temps, l’augmentation régulière des volumes de production de la part des pays du Moyen-Orient appartenant à l’OPEP+ et des Etats-Unis ainsi qu’un ralentissement de la croissance de la demande devraient permettre de faire face à un déficit d’approvisionnement aigu lié à l’aggravation des perturbations de l’approvisionnement russe. Hors Russie, la production du reste du monde devrait augmenter de 3,1 millions de barils par jour de mai à décembre.»

Prendre ses désirs pour la réalité

Reste à savoir si l’AIE ne prend pas ses désirs pour la réalité et si les 3,1 millions de barils par jour de production supplémentaire annoncés ont une chance d’exister. Les volumes de production des membres de l’OPEP + du Moyen-Orient augmentent régulièrement mais très lentement et seuls un petit nombre de pays sont en capacité de le faire. En fait, seuls l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis ont des réserves de production qu’ils peuvent activés mais ont clairement indiqué qu’ils n’étaient pas du tout pressés d’aider à compenser les pertes de barils russes. Le ministre du pétrole des Émirats Arabes Unis, Suhail Al-Mazrouei, a déclaré cette semaine que le marché mondial du pétrole était en équilibre et que la volatilité excessive des prix était due au fait que «certains ne veulent pas acheter certains bruts et qu’il faut du temps aux commerçants pour passer d’un marché à un autre». «L’idée d’essayer de boycotter certains bruts va être risquée quels que soient les motifs derrière cela», a-t-il ajouté.

La croissance chinoise sera le facteur clé

Le ralentissement de la demande contribuera à atténuer les effets de ce boycott, comme le souligne l’AIE. Selon l’agence, la croissance de la demande mondiale de brut devrait ralentir à 1,9 million de barils par jour au cours du trimestre en cours, contre 4,4 millions au premier trimestre de l’année en raison des pressions inflationnistes, de la hausse des prix du pétrole et du ralentissement de l’économie chinoise et mondiale. Au second semestre, ce taux de croissance devrait selon l’AIE chuter encore plus fortement à seulement 490.000 barils par jour. Tout dépendra avant tout de la poursuite ou non des blocages de l’économie chinoise du fait de la pandémie de Covid-19.

Pour en revenir au côté production, même aux Etats-Unis les pétroliers éprouvent de grandes difficultés à augmenter leurs capacités. Selon le dernier rapport hebdomadaire de l’Energy Information Administration, en plus de l’approche prudente des grands foreurs échaudés par la crise de 2020, la hausse des prix des équipements freine la croissance de la production. La production pétrolière américaine a même diminué de 100.000 barils par jour la semaine dernière pour atteindre 11,8 millions de barils quotidiens. Les groupes pétroliers sont affectés par des pénuries de main d’œuvre comme de matériaux indispensables jusqu’au sable pour la fracturation hydraulique.

Le Brésil, autre grand producteur mondial, a quant à lui déclaré qu’il ne serait pas en mesure d’augmenter rapidement sa production. Des responsables de l’administration ont eu au cours des derniers jours s des entretiens avec les dirigeants de la compagnie brésilienne Petrobras pour lui demander d’augmenter sa production. Ils sont repartis les mains vides. Les responsables de la société brésilienne leur ont expliqué non sans un certain plaisir que le niveau de production était le résultat d’une stratégie commerciale de long terme et de capacités logistiques qui n’existent pas aujourd’hui, et non de la diplomatie.

La stagflation permettra d’équilibrer le marché pétrolier

En clair, et contrairement à l’optimisme de l’Agence internationale de l’énergie, si le marché pétrolier s’équilibre, ce sera avant tout par un ajustement de la demande. L’accélération de l’inflation va très certainement tempérer la demande de brut. Le Fonds monétaire international (FMI) a révisé fortement à la baisse ses prévisions de croissance pour cette année et l’année prochaine. «L’inflation est devenue un danger clair et présent pour de nombreux pays», écrit le FMI dans sa note de conjoncture d’avril. «Même avant la guerre, elle a bondi en raison de la flambée des prix des matières premières et des déséquilibres entre l’offre et la demande. Les perturbations liées à la guerre amplifient ces pressions. Nous prévoyons maintenant que l’inflation restera élevée pendant beaucoup plus longtemps.»

Mais il ne faut pas attendre grand chose des augmentations de production. La mauvaise volonté est manifeste de la plupart des pays producteurs et par ailleurs les sous-investissements des dernières années ont réduit les capacités. La production russe, quant à elle, se stabilise, selon le vice-Premier ministre, Alexander Novak. Après avoir baissé à 10,05 millions de barils par jour en avril, elle a augmenté de 2% au début de la semaine. Pour l’instant, elle n’a pas autant diminué que le craignait l’AIE.

La rédaction