Transitions & Energies

L’accord de 27 milliards de dollars entre TotalEnergies, l’Irak et le Qatar aura un impact majeur sur le marché pétrolier


Pour des raisons difficiles à comprendre, l’accord conclu il y a deux semaines et après de multiples retards entre l’Irak, TotalEnergies et Qatar Energy portant sur des investissements colossaux de 27 milliards de dollars est passé presque inaperçu. Et pourtant, il pourrait tout simplement faire de l’Irak le premier producteur de pétrole du monde… Ce qui n’est pas particulièrement apprécié par la Russie, la Chine, l’Arabie Saoudite et surtout l’Iran.

Longtemps retardé, l’accord tripartite entre le gouvernement iraquien, TotalEnergies et le Qatar a finalement été officialisé au début du mois dans une indifférence presque générale difficile à comprendre. Il est pourtant d’une ampleur considérable, 27 milliards de dollars d’investissements sur quatre projets, et a pour ambition, rien que cela, de faire de l’Irak le premier producteur de pétrole au monde… Pour donner un ordre d’idée, les trois principaux pays producteurs de pétrole sont aujourd’hui dans l’ordre les Etats-Unis avec en moyenne 11,5 millions de barils par jour, la Russie avec 10,5 millions de barils par jour et l’Arabie Saoudite avec 10,2 millions de barils par jour. L’Irak avec 4,2 millions de barils par jour est en cinquième position assez loin derrière. Mais tout va changer puisque les investissements majeurs annoncés pourraient faire passer la production de pétrole irakienne à 13 millions de barils par jour en cinq ans…

Pour les Occidentaux en général et les Français en particulier via TotalEnergies, l’accord est crucial afin de garantir l’accès aux considérables réserves de pétrole de l’Irak et permettre de s’assurer de nouvelles sources d’approvisionnement pour compenser la perte de celles venant de Russie. Il est également essentiel pour réaffirmer leur position au cœur du Moyen-Orient afin de contrer l’influence grandissante de la Chine, de la Russie et de l’Iran. On comprend mieux pourquoi Patrick Pouyanné, le Pdg de TotalEnergies, a été élevé le 14 juillet dernier au rang d’officier de la Légion d’honneur, ce qui a valu une volée de critiques des écologistes et de la gauche. Une partie du contexte leur a apparemment échappé.

Augmenter la pression dans les réservoirs en injectant des quantités considérables d’eau de mer

Sont parties prenantes dans cet accord de développement et d’investissement l’Etat irakien via la Basrah Oil Company qui a 30% de l’opération, TotalEnergies qui en contrôle 45% et QatarEnergy qui détient les 25% restant. Le plus important des quatre éléments de l’accord a pour nom Common Seawater Supply Project (CSSP). Il est la clé de voûte pour permettre à l’Irak de faire passer en quelques années sa production de pétrole à 7 puis 9 et enfin 13 millions de barils par jour.

CSSP consiste à prélever et traiter de grandes quantités d’eau de mer du golfe Persique et à les acheminer par oléoducs vers les installations de production de pétrole afin de maintenir la pression dans les réservoirs et d’augmenter considérablement la production et la longévité des gisements. Dans un premier temps, CSSP fournira 5 millions de barils d’eau par jour à au moins cinq champs pétroliers du sud de Bassorah et à un champ de la province de Maysan, puis le processus sera élargi et étendu à d’autres champs.

Rendre l’Irak moins dépendant de l’Iran

Le deuxième élément du projet consiste à récupérer et raffiner le gaz naturel dit torché, c’est-à-dire aujourd’hui uniquement brûlé, dans les cinq champs pétroliers du sud de l’Irak, à savoir West Qurna 2, Majnoon, Tuba, Luhais et Artawi. Dans un premier temps, cela devrait permettre de produire 300 millions de pieds cubes de gaz par jour et rapidement le double après une deuxième phase de développement. Il y a un élément géopolitique essentiel à ce développement puisqu’il doit permettre à l’Irak de mettre un terme à sa dépendance aux importations de gaz et d’électricité en provenance d’Iran.

Le troisième élément de l’accord va consister pour TotalEnergies à augmenter spécifiquement la production de pétrole brut du gigantesque champ Artawi qui a commencé à être opérationnel en 2018 et possède des réserves supérieures à 10 milliards de barils.

Enfin, la dernière partie du projet mené par TotalEnergies sera la construction et la mise en service d’une centrale solaire de 1.000 mégawatts en Irak.

Oppositions russe, chinoise et iranienne et corruption endémique irakienne

Il ne faut pas s’étonner si la Russie, la Chine, l’Arabie Saoudite et surtout l’Iran ont tenté de faire échouer un tel accord dont les grandes lignes avaient été rendues publiques en 2021. Mais ce sont en fait plus encore les errements iraquiens, c’est-à-dire une corruption endémique, qui l’ont retardé. Des membres du gouvernement et de l’administration irakienne ont cherché à obtenir, via des sociétés écrans, des « commissions » pour faciliter la signature de l’accord… Ce que TotalEnergies a refusé catégoriquement. Ils ont cherché aussi ensuite à obtenir quelques pourcentages des projets.

Le gouvernement irakien a enfin tenté d’impliquer dans la négociation la compagnie pétrolière nationale, Iraqi National Oil Company (INOC), considérée comme l’une des plus corrompues au monde. Mais TotalEnergies a rejeté toute association avec l’INOC et a fini par obtenir gain de cause juridiquement en octobre 2022 devant la Cour suprême irakienne.

Le potentiel pétrolier et gazier irakien est considérable et relativement sous-exploité, notamment par rapport à ceux de l’Arabie Saoudite ou du Qatar. Les réserves de pétrole du pays sont officiellement évaluées à 145 milliards de barils, les cinquième du monde, mais seraient en fait selon de nombreux spécialistes supérieures à 200 milliards, voire 250 milliards de barils.

Pour mener à terme le gigantesque projet lancé il y a seulement quelques semaines, il y aura encore, forcément, de nombreuses difficultés, tant les enjeux sont importants et tant il suscite d’oppositions. Mais il est à même de profondément changer le marché pétrolier mondial et ses équilibres instables et à garantir des prix du pétrole relativement contenues ce qui pourrait permettre, paradoxalement, de faciliter la transition énergétique. Une logique contre intuitive mais qui revient à ne pas détruire l’ancienne économie avant d’avoir construit la nouvelle au risque d’être incapable économiquement et socialement de mener la transition.

La rédaction