Au cours des dernières semaines, la crainte d’une surabondance de production de pétrole dans les mois et les années à venir n’a cessé de grandir. Elle serait liée à la fois aux décisions du cartel Opep+ d’augmenter le plafond de ses exportations et à l’entrée progressive sur le marché de nouveaux gisements (Brésil, Canada, Argentine) et de nouveaux pays producteurs (Guyana, Namibie…). Tout cela pourrait installer durablement une situation d’abondance et donc de cours très bas du pétrole et compliquer ainsi encore la transition énergétique.
Mais aujourd’hui le marché pétrolier montre une image différente. Jusqu’à présent, aucune véritable chute des cours n’est à signaler. Les prix mondiaux sont même très stables proches de 70 dollars le baril et les opérateurs sont bien plus préoccupés, à tort ou à raison, par les menaces géopolitiques que par l’équilibre à moyen et long terme entre l’offre et la demande. Il faut dire que les conflits susceptibles de dégénérer sont légions : les agressions russe contre l’OTAN, la tension en Méditerranée orientale (Turquie, Egypte, Israël, flottille de Gaza) et aussi et surtout les frappes de plus en plus efficaces de l’Ukraine sur les infrastructures pétrolières et gazières russes.
Feu vert de l’administration Trump
Car si l’administration Trump avait clairement interdit à Israël lors de la guerre de douze jours du mois de juin de frapper les installations pétrolières exportatrices iraniennes pour ne pas déstabiliser le marché, elle a manifestement donné son feu vert à l’Ukraine pour s’en prendre à celles de la Russie. Et Kiev ne s’en prive pas qui en a fait une priorité stratégique.
Résultat, presque quotidiennement des rapports mettent en avant le succès de la campagne ukrainienne qui semble mener avec une efficacité grandissante des frappes de précision et des attaques de drones contre des raffineries, des dépôts de carburant et des infrastructures énergétiques russes. Cela a même conduit certains observateurs à affirmer que les sanctions les plus efficaces qui frappent les ressources financières permettant à la Russie de financer la guerre contre son voisin sont les drones ukrainiens. Ils reprennent ainsi les propos du Président ukrainien Volodymyr Zelensky. « Les sanctions les plus efficaces, celles qui agissent le plus rapidement, sont les incendies qui ravagent les raffineries de pétrole russes, leurs terminaux et leurs dépôts pétroliers », a-t-il déclaré. Car les sanctions ont été jusqu’à présent assez facilement contournées et les barils que la Russie ne vend plus aux pays occidentaux et à leurs alliés, elle les écoule en Chine, en Inde et en Turquie.
Les raffineries sont les principales cibles
La plupart des analystes sont d’ailleurs un peu trop focalisés sur l’Opep+, les évolutions à venir des capacités de production de pétrole et de gaz de schiste par les Etats-Unis ou les conséquences des opérations militaires israéliennes à Gaza. Ils perdent de vue la Russie. Un pays qui est non seulement l’acteur majeur du cartel Opep+ avec l’Arabie Saoudite, mais aussi l’un des principaux exportateurs mondiaux de pétrole et de gaz. Et il se trouve confrontée à une situation qui se dégrade rapidement.
Car les drones ukrainiens réduisent jour après jour la capacité de Moscou à transformer son pétrole brut en produits pétroliers consommables et exportables (diesel, essence, kérosène) en contraignant les raffineries russes à cesser leur activité. La Russie est l’un des principaux exportateurs de produits pétroliers raffinés. L’Ukraine a aussi intensifié depuis plusieurs semaines ses attaques contre les ports pétroliers russes afin de limiter les capacités d’exportation de son agresseur.
Jusqu’à 30% des capacités russes de raffinage détruites
Les drones ukrainiens ont frappé des dizaines d’installations pétrolières russes tandis que des drones maritimes et des missiles sont également utilisés. Le dernier atout militaire dont vient de se doter l’Ukraine avec le missile de croisière Flamingo d’une portée de 3.000 kilomètres pourrait accélérer encore le rythme de destruction des infrastructures pétrolières et gazières russes. Et l’Ukraine a même demandé aux Etats-Unis de lui fournir des missiles de croisière Tomahawk et pourrait les obtenir.
D’ores et déjà, plus d’un million de barils par jour de capacité de raffinage ont disparu. Signe que les raffineries russes sont touchées, les flux de pétrole brut transportés de Russie par voie maritime augmentent, Moscou étant contraint d’exporter davantage faute de pouvoir raffiner. La Russie ne dispose pas d’installations importantes de stockage de pétrole brut, ce qui ne lui laisse d’autre choix que d’exporter son pétrole ou de fermer des puits, ce qui techniquement et économiquement pose de nombreux problèmes. Et selon Jason Gabelman, analyste pétrolier de TD Cowen, les attaques ukrainiennes auraient même détruit jusqu’à 1,5 million de barils de capacités de raffinage de pétrole russe, soit environ 30% des capacité totales du pays.
Des pénuries intérieures
Cette situation a évidemment aussi des conséquences intérieures. Ce n’est pas pour rien si le gouvernement russe a décidé il y a quelques jours de fortement limiter les exportations de diesel et d’étendre les limitations déjà en vigueur sur les exportations d’essence. Des informations éparses font état de graves pénuries de carburant dans plusieurs régions du pays. Selon le journal les Izvestia, le groupe pétrolier russe Lukoil a interdit la vente de diesel en jerrycans dans certaines de ses stations de la région de Moscou.
Si cela se traduit par une augmentation à court terme de l’offre de pétrole vers l’Asie, la dégradation de l’outil de raffinage et de production pétrolier russe aura des conséquences sur le marché mondial. D’autant plus que les États-Unis et l’Union européenne sont bien décidés à faire pression sur les acheteurs de barils russes. La Chine et plus encore l’Inde devenue une cible de la Maison Blanche.
On peut d’ores et déjà prédire des tensions sur le marché mondial des produits raffinés et plus particulièrement du diesel. La Russie a produit l’an dernier 86 millions de tonnes de diesel et en a exporté 31 millions de tonnes. Même si la capacité mondiale totale de raffinage dépasse les 100 millions de barils par jour, de légères variations de l’offre peuvent avoir un impact considérable. Les raffineries hors de Russie, notamment en Asie et au Moyen-Orient, fonctionnent à plein régime à une période de l’année où elles ralentissent généralement leurs activités.