Tribune : le Sénat a une responsabilité historique, remettre enfin de l’ordre dans le système électrique

3 juillet 2025

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Solaire Eolien
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Tribune : le Sénat a une responsabilité historique, remettre enfin de l’ordre dans le système électrique

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Lettre ouverte au Sénat de Nicolas Bour, Porte-parole du Réseau Energies Terre & Mer (RETM) et Pierre-Emmanuel PICARD, Délégué Vent des maires.

Madame la Sénatrice,

Monsieur le Sénateur,

En 2015, le système énergétique français tournait comme une horloge. Le nucléaire était disponible été comme hiver, l’offre et la demande étaient bien ajustées, avec des variations été/hiver et diurne facilement contrôlées avec la flexibilité de nos barrages et de nos centrales thermiques, complétée pa    r une modulation de nos réacteurs nucléaires. Les tarifs de l’électricité étaient encore maitrisés, avec des variations des prix « spot » relativement faibles :  le phénomène des prix spot négatifs n’existait pas !

En 2025, l’horloge est totalement déréglée et hors de contrôle :

  • sans doute, la disponibilité du nucléaire a été moins bonne entre 2020 et 2022 (Covid,corrosion sous contrainte), mais est revenue à la normale début 2023 ;
  • sans doute, la crise ukrainienne a déstabilisé le marché début 2022, mais son impact est revenu à une importance normale début 2023 avec l’arrêt des spéculations sur le prix de l’électricité.

Et pourtant :

  • jamais l’écart entre l’offre et la demande n’a été aussi important que durant le premier semestre 2025 ;
  • jamais l’oscillation et la volatilité des prix n’a été aussi importante que depuis le 1er avril 2025 ;
  • jamais la modulation de nos réacteurs et nos barrages, seules flexibilités réelles dans notre système énergétique, n’ont été autant sollicités , au risque d’impacts techniques et économiques rappelés le 15 janvier 2025 par le Président d’Electricité de France et le Haut-commissaire à l’Energie atomique.

Prix négatifs et prix de l’effacement depuis le premier trimestre 2025 pour les contribuables et les consommateurs

Cela a conduit à la décision du Gouvernement et du Parlement d’amplifier les effacements de l’éolien et du solaire à partir du 1er avril 2025, pour tenter de réduire les épisodes de prix négatifs et en conséquence la modulation trop forte du nucléaire.

Mais si les contrats vont être modifiés pour permettre au gouvernement de demander aux opérateurs d’arrêter les éoliennes à mer comme à terre, et plus difficilement le solaire disséminé auprès de centaines de milliers de producteurs, ce sont les contribuables et les consommateurs d’électricité qui vont payer les dédommagements du coût de ces arrêts forcés pour les opérateurs.

Malgré ce dispositif, le nombre de jours avec prix négatifs sur la période mai-juin a doublé en 2025 par rapport à 2024, ce qui va augmenter fortement le coût de la garantie de prix dont bénéficient les producteurs éoliens et photovoltaïques. Et ce coût se répercute directement sur la facture des consommateurs via la Contribution du Service public de l’électricité.

La responsabilité historique du Sénat de remettre de l’ordre dans notre système électrique

Le 6 mai 2025 le Premier Ministre vous a offert la possibilité de remettre de l’ordre dans ce système à la dérive. C’est votre responsabilité historique aujourd’hui de la saisir après 30 ans d’errements dans les choix du mix de production électrique.

Ne croyez pas aux promesses impossibles à tenir et très onéreuses de la flexibilité par stockage par batterie -à supposer qu’il soit réaliste- qui augmenterait encore le coût de l’électricité et la dépendance énergétique de l’éolien et du solaire plein champ en zone agricole.

Ne croyez plus au mythe de l’électricité propre et pas chère de l’éolien et du solaire, qui omettait de dire comment gérer son intermittence et sa dépendance à la météo, sans coïncidence avec les fluctuations de la demande. D’ailleurs les opérateurs industriels viennent de se désister massivement de l’AO7 (centrale éolienne maritime au large d’Oléron) avec des prix cible hors d’atteinte.

Soyez alertés de la ruée sur le solaire sur terres agricoles qui envahit nos campagnes avec 31 GW de projets en cours d’étude et d’autorisation alors que l’on ne sait même pas gérer la production des 26 GW installés qui chaque jour de mars à octobre entre 9h00 et 17h00 viennent perturber gravement l’équilibre de notre système électrique, doublonné ave la production éolienne s’il y a du vent…..

Dans le cadre de la procédure ZADER, sur l’éolien comme sur le solaire sur terres agricoles, les élus de nos 36.000 communes se sont prononcés, avec bon sens et après consultation de leurs habitants. Ils ont rejeté massivement l’éolien et l’agrivoltaïsme au profit des énergies renouvelables pilotables (géothermie de surface, pompes à chaleur, biométhane, pyrogazeification, biocarburants, e-carburants, solaire thermique, photovoltaïque en grande toiture s’il est destiné à l’autoconsommation collective sans injection sur le réseau …)

Le 7 mars 2025 l’administration a produit une nouvelle version de la PPE3 sans tenir compte ni des avis des 360 représentants d’organismes et fédérations de la société civile, ni des 36.000 maires, ni des observations des scientifiques, et en particulier de ceux de l’Académie des sciences. Cet fin de non-recevoir est incompréhensible. C’est un défi à la démocratie et un risque majeur pour notre système électrique totalement déréglé.

Vous avez réagi collectivement le 11 mars en alertant le Premier Ministre ; il vous a entendus et écoutés le 6 mai 2025.

Il s’agit de la survie de notre système énergétique

La question aujourd’hui n’est pas de savoir s’il faut un moratoire ou non sur les énergies électriques intermittentes. La question est beaucoup plus grave. Il s’agit de la survie de notre système énergétique, celui qui a assuré la prospérité de la France durant quatre décennies. Nos réserves énergétiques sont élevées en raison de la durée des réacteurs nucléaires qui peut être prolongée en toute sûreté grâce au grand carénage. Grande aussi grâce à l’augmentation possible de leur taux de disponibilité par une meilleure programmation des arrêts. Grâce enfin à la marge que nous donne le niveau élevé de nos exportations.

La question est de savoir si nous choisissons enfin de changer de cap :

  • pour mettre un terme au gaspillage d’argent public – on paie de plus en plus cher les arrêts des unités de production intermittente en surproduction depuis 2023;
  • pour faire baisser durablement le prix de l’électricité;
  • pour cesser de piétiner la démocratie locale, d’ignorer les conseils municipaux;
  • pour stopper le sacrifice inutile de nos patrimoines agronomiques, culturels, historiques, naturels et mémoriels.

La vraie question est aussi de savoir si on continue ou non le laisser-faire territorial depuis 30 ans qui va amplifier cette dégradation dans quasiment toutes nos régions françaises avec 54 GW de projets éoliens maritimes, terrestre et solaire en cours d’étude et d’instruction suivant le récent rapport de l’ODRE (Open data réseaux Energie) et répertoriés par le Service des données et études statistiques (SDES)

Aujourd’hui vous êtes au rendez-vous de l’histoire : les Français vous attendent et font naturellement confiance à votre sagesse

  • Ils ont compris qui était responsable du dérèglement de notre système électrique ;
  • Ils ne supportent plus de payer des factures d’électricité hors de prix, reportant à plus tard l’électrification des usages ;
  • Ils ne supportent plus le gaspillage d’argent public en indemnisant chaque année de plusieurs milliards d’euros des promoteurs pour arrêter une production inutile ;
  • Ils ne supportent plus le massacre des patrimoines agronomes, culturels, historiques, naturels et mémoriels ;
  • Ils ne supportent plus le harcèlement quotidien des maires et des agriculteurs par les promoteurs ;

Ne les décevez pas et prouvez-leur que vous assumez avec sagesse et responsabilité votre mission en demandant au gouvernement une étude d’impact indépendante comparative des différents mix électriques.

Elle devra être menée de façon indépendante sur le plan économique, sur l’environnement et sur l’impact social avant toute publication d’un décret – ou d’une loi – de programmation pluriannuelle de l’énergie.

Le coût du système électrique est essentiel pour décider enfin en 2025 un changement de cap de notre politique énergétique et éviter de provoquer une crise démocratique et politique encore plus grave en 2026 et 2027.

Nicolas BOUR, Porte-parole Réseau Energies Terre & Mer, (www.retm.fr) et Pierre-Emmanuel PICARD, Délégué Vent des maires (www.ventdesmaires.fr).

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