Premier enseignement, la défiance est grande dans l’opinion, car la politique énergétique du pays est considérée comme étant sous l’emprise des lobbies et des entreprises. Deuxième point important, les Français ont le sentiment de ne pas être bien informés et même d’être désinformés. Seuls les experts apparaissent dignes de confiance sur des sujets perçus, à juste raison, comme techniques. Enfin, ils sont convaincus que, quoi qu’il arrive ou presque, leurs factures d’électricité ne peuvent que fortement augmenter dans les prochaines années.
À souligner que les clivages partisans existent, mais ils ne sont pas pour autant aussi caricaturaux que dans le débat public. Les sympathisants de droite par exemple sont pronucléaires et moins allant sur les renouvelables, mais sans pour autant être totalement fermés sur la question. Par ailleurs, il existe aussi des clivages générationnels et de genre parfois très marqués.
Un mélange de réponses pertinentes, contradictoires et fausses
Maintenant, sur le fond des sujets et face aux questions posées, les réponses sont tout de même assez souvent pertinentes, mais aussi contradictoires et incohérentes, voire parfois erronées.
Le rôle majeur du nucléaire dans la production électrique est très bien identifié. Ainsi, 70 % des Français le désigne comme la source de production d’électricité la plus importante… à hauteur justement d’environ 70 % dans le mix électrique. Mais il faut souligner des différences importantes entre les générations et les genres. Ainsi, 85 % des hommes considèrent que le nucléaire est la source d’énergie principale dans la production d’électricité et 57 % des femmes, un écart de 28 points ! De la même façon, 59 % des 18-24 ans ont identifié le nucléaire comme essentiel à la production d’électricité contre 73 % pour les 35 ans et plus.
Plus problématique, seuls 5 % des personnes interrogées ont conscience du fait que la consommation d’électricité stagne et dans les faits baisse légèrement depuis plusieurs années. Ils sont même pas moins de 65 % à penser qu’elle augmente légèrement et même 26 % à croire qu’elle progresse fortement. Et dans ce domaine, tout le monde est mal informé avec peu de différences entre les sexes et les générations.
Une majorité favorable à… un moratoire sur les renouvelables
Pas étonnant alors s’ils sont favorables par principe à l’augmentation des capacités de production nucléaires et renouvelables. D’autant, et cette fois la compréhension des enjeux est bonne, qu’ils sont 67 % à juger crédible le risque d’un doublement des factures d’électricité d’ici cinq à dix ans. Mais ils ont ainsi conscience des exportations massives et donc de l’importante surproduction électrique du pays.
Voilà peut-être pourquoi les Français adhèrent à l’idée d’une pause, certains diraient un moratoire…, sur les nouvelles autorisations de projets éoliens et solaires afin de réaliser une étude indépendante sur leur utilité (63 %) ou en vue d’un débat démocratique (61 %). Ce dont le gouvernement ne veut pas entendre parler.
Dans le détail, le développement des énergies renouvelables et du nucléaire sont dans l’ensemble vus favorablement avec une adhésion majoritaire très large pour le solaire sur zone artificialisée (94 %) ou en hauteur sur des parcelles agricoles (71 %) et pour l’hydraulique (76 %). On peut imaginer que la situation changerait si un projet d’agrandissement d’un barrage provoquait des réactions violentes des mouvements écologistes.
Nucléaire : clivage hommes/femmes et gauche/droite
Le nucléaire est soutenu à 58 %. Mais il convient de le souligner à nouveau, avec une différence considérable entre les hommes (71 % favorables) et les femmes (47 %) et une différence tout aussi significative entre la droite (77 %), la majorité présidentielle (83 %) et la gauche (50 %). Le nucléaire fait tout de même un peu mieux que l’éolien maritime (56 %) et l’éolien terrestre (54 %). À noter que le solaire sur des parcelles forestières est largement rejeté : 64 % y sont défavorables.
Par ailleurs, la situation très exportatrice d’électricité du pays et donc d’importante surproduction est plutôt identifiée. 46 % déclarent que nous exportons de l’électricité vers nos voisins tandis que 19 % pensent que la France produit autant qu’elle consomme et 21 % nous voient comme importateurs, enfin 16 % déclarent ne pas savoir. Il y a encore une différence considérable entre les sexes et les générations puisque 56 % des hommes estiment que le pays est en surproduction et 37 % des femmes et 36 % des moins de 35 ans et 49 % des 35 ans et plus.
Une politique énergétique sous influence
Le lien logique entre les exportations et les risques de surcapacité ou sous-capacité avec le développement des renouvelables n’est pas toujours fait. Ainsi, 46 % des personnes interrogées évoquent un potentiel surdimensionnement mais 33 % l’inverse. Cette confusion se retrouve au sujet de l’évolution possible des prix associé à ces investissements : 35 % anticipent une augmentation des prix contre 24 % une baisse et 19 % aucun impact. Mais, nouvelle contradiction majeure, 67 % des Français jugent crédible le risque d’un doublement des factures d’électricité d’ici cinq à dix ans ! Et les hommes (66 %) sont très légèrement moins inquiets que les femmes (68 %).
La défiance envers les ressorts de la politique énergétique du pays est l’élément marquant du sondage. La politique énergétique apparaît comme largement influencée par des lobbies et groupes de pression (72 %), avec des décisions prises d’abord dans l’intérêt des grandes entreprises (72 %) plutôt que dans le sens de l’intérêt général (29 %). Et il y a peu de différences entre les femmes (69 %) et les hommes (77 %), entre les moins de 35 ans (68 %) et les plus de 35 ans (74 %) et entre la gauche (86 %) et la droite (85 %).
À souligner le fait que tous les industriels sont mis dans le même panier. Ils sont considérés comme faisant du lobbying sur la politique énergétique du pays, que ce soit TotalEnergies (72 %), Engie (71 %), EDF (69 %) ou les producteurs de renouvelables (65 %).
Aucune confiance dans le gouvernement ni les élus
C’est la raison pour laquelle les personnes interrogées expriment des doutes sur la qualité et la fiabilité des informations qui leur sont données dans le domaine énergétique. Ils font confiance à 61 % aux experts et aux scientifiques, mais à 45 % à EDF, 40 % aux producteurs de renouvelables et aux ONG écologistes, à 22 % au gouvernement et 20 % aux députés et sénateurs… Les Français sont aussi 72 % à considérer que les grandes décisions énergétiques ne sont pas clairement et correctement expliquées aux citoyens et 75 % à considérer qu’ils sont mal informés sur l’organisation du mix électrique français.
Pour finir, la panne d’électricité géante (black-out) qui s’est produite en Espagne le 28 avril est bien connue des Français (78 %) et même 69 % pensent qu’une panne d’électricité géante pouvant durer vingt-quatre heures ou plus pourrait se produire en France… Les scénarios catastrophe ont toujours de l’écho.