L’énergie nucléaire cumule les paradoxes. Elle était promise dans les années 1970 à un avenir brillant et devait alors selon les prévisions dominer la production d’électricité dans le monde et remplacer les centrales à charbon. Il n’en a rien été. Et la consommation de charbon ne cesse année après année de battre des records dans le monde… Les accidents de Tchernobyl et de Fukushima sont passés par là. Ils ont donné des arguments irrésistibles à l’écologie politique qui depuis les années 1970 a fait du combat anti-nucléaire le cœur de sa doctrine. Et n’en a pas vraiment changé.
Mais il existe une différence fondamentale entre faire de la politique et définir et mener des politiques publiques responsables, efficaces et réalistes. Cette différence est loin d’être toujours comprise, y compris par nos dirigeants. Faire de la politique – prononcer des discours, donner des interviews, faire des promesses, établir un programme électoral – sont des jeux d’enfants. Mener des politiques est tout autre chose. Cela revient à effacer les illusions et à s’attaquer à la complexité du réel, surtout lorsqu’il s’agit d’énergie.
Le reniement allemand
Ces derniers jours, la politique et surtout les politiques relatives à l’énergie nucléaire ont évolué en Europe à une vitesse jamais vue depuis l’ère post-Tchernobyl et post-Fukushima. Il y a une exception, la conversion soudaine il y a déjà plus de trois ans d’Emmanuel Macron. Après avoir affaibli consciencieusement la filière nucléaire française pendant une décennie, le Président s’était soudain rallié à cette source d’énergie avec le zèle du néo converti. Même si trois ans après, on attend toujours la concrétisation du grand plan annoncé de relance de la construction de réacteurs.
Mais en matière de conversion, ce qui se passe aujourd’hui en Allemagne et dans d’autres pays européens est encore plus spectaculaire. L’Allemagne, qui a longtemps été le moteur de la lutte contre le nucléaire dans le monde et surtout en Europe, vient de faire un demi-tour fracassant. Un véritable reniement. Sous la houlette de son nouveau chancelier, Friedrich Merz, l’Allemagne a annoncé vouloir coopérer avec la France et considérer le nucléaire comme une source d’énergie « verte ». Cette volte-face intervient 25 mois seulement après que l’Allemagne a définitivement arrêté ses trois derniers réacteurs nucléaires. Difficile de trouver un virage plus radical car cela fait 20 ans que l’Allemagne avec le soutien de la Commission européenne torpille par tous les moyens la stratégie nucléaire française. Et elle l’a même fait avec la complicité active de certains gouvernements français… alliés des écologistes.
La Belgique, le Danemark, l’Italie, l’Espagne…
L’annonce de Berlin est intervenue quelques jours seulement après que le parlement belge a voté à une large majorité l’abrogation d’une loi de 2003 imposant la sortie progressive de l’énergie nucléaire et interdisant la construction de nouveaux réacteurs. La semaine dernière, le gouvernement danois a annoncé pour sa part qu’il reconsidérait son interdiction de l’énergie nucléaire, en vigueur depuis 40 ans, depuis 1985. L’ancien premier ministre danois, Anders Fogh Rasmussen, a expliqué au Financial Times : « L’énergie éolienne et solaire est bonne tant qu’il y a du vent et du soleil. Mais il faut avoir une base non fossile et il est ridicule d’exclure l’énergie nucléaire ». Le Danemark est le champion de l’éolien marin.
L’Espagne, qui a l’image de l’Allemagne est un partisan farouche des renouvelables intermittents et un adversaire résolu et inflexible du nucléaire, a été tellement ébranlée par le blackout du 28 avril qu’elle envisage de ne plus fermer les sept réacteurs nucléaires en service dans le pays. En Italie, le gouvernement de la Giorgia Meloni a décidé lui aussi de revenir vers l’énergie nucléaire et se fixe pour objectif de lancer d’ici 2030 un programme de construction de réacteurs. L’Italie avait renoncé à l’énergie nucléaire en 1987 à la suite d’un référendum après la catastrophe de Tchernobyl.
Le Japon et les Etats-Unis
Enfin, la Suède, la Pologne, la République tchèque, la France, les Pays-Bas ont annoncé la construction de nouveaux réacteurs. L’Union Européenne (UE) compte sur son territoire une centaine de réacteurs nucléaires, dont 57 en France, répartis dans 12 pays (Belgique, Bulgarie, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Pays-Bas, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et Suède). Près d’un quart de l’électricité produite dans l’UE provient du nucléaire.
Même au Japon, marqué par l’accident de Fukushima, l’heure est à la relance du nucléaire. Aux Etats-Unis également, les conversions à l’atome se multiplient. Le 13 mai, la gouverneur démocrate du Massachusetts, Maura Healey, a annoncé son intention d’abroger une loi votée en 1982 et interdisant le nucléaire. L’administration Healey s’appuie sur un rapport récent de l’ISO New England, selon lequel l’énergie nucléaire peut réduire les émissions à moindre coût que l’énergie éolienne et solaire. En mars, le gouverneur démocrate du Colorado, Jared Polis, a signé un projet de loi qui permet au nucléaire d’être considéré comme une ressource « propre » pour répondre aux exigences de l’État en matière de décarbonation.
Mais surtout la Maison Blanche a pris il y a quelques jours quatre décrets très favorables à l’énergie nucléaire. Ils visent à assouplir les contraintes et les règlements permettant de lancer la construction de nouvelles centrales. Il s’agit du programme le plus important en faveur du nucléaire décidé par un président américain depuis le célèbre discours de 1953 de Dwight Eisenhower intitulé « Atomes pour la paix ». Ce discours a été le point de départ de l’énergie nucléaire civile dans le monde. Dans la foulée, les États-Unis ont autorisé entre 1954 et 1978 la construction de 135 réacteurs civils dans 81 centrales. Mais depuis 1978, la Commission de réglementation nucléaire américaine n’a autorisé que cinq nouveaux réacteurs, dont finalement deux seulement ont été construits…