Deux pays européens se distinguent tout particulièrement en matière d’hypocrisie énergétique. La Norvège qui donne des leçons climatiques et morales en permanence et finance avec ses exportations massives de gaz une production d’électricité fortement décarbonée grâce à l’hydraulique et aux éoliennes et surtout un marché automobile qui a totalement basculé dans l’électrique à coup de subventions massives. Pas moins de 89% des véhicules neufs vendus l’an dernier en Norvège étaient 100% électriques.
Et puis il y a l’Irlande, plus subtil mais tout aussi hypocrite. Le pays est devenu l’un des plus prospères en Europe et même au monde en faisant du dumping fiscal et en attirant ainsi sur son sol les grandes multinationales de la technologie et de la pharmacie qui y ont installé leurs sièges européens. Des multinationales qui dans la technologie consomment des quantités exponentielles d’électricité et vont continuer à le faire en multipliant les data centers indispensables au développement de l’Intelligence Artificielle (IA). Au passage, l’Irlande a bloqué autant qu’elle le pouvait toute tentative d’harmonisation fiscale au sein de l’Union Européenne. Voilà pourquoi l’Irlande est aujourd’hui le cinquième pays le plus riche au monde en terme de PIB par habitant à plus de 108.000 dollars par an devant… la Suisse, Singapour, les Iles Caïman, les Etats-Unis ou le Qatar.
Donner des leçons au Guyana
Mais Dublin se permet de donner des leçons au Guyana, l’un des pays les plus pauvres au monde, qui est en train de connaître un développement inespéré en ayant découvert du pétrole qui d’ailleurs excite beaucoup l’appétit de son voisin le Venezuela de plus en plus menaçant. Le PIB par habitant du Guyana est ainsi passé de 5.600 dollars en 2015 à près de 30.000 dollars en 2024.
Le destin du Guyana a changé du tout au tout en mai 2015, lorsque ExxonMobil a découvert du pétrole à environ 200 kilomètres au large de ses côtes. Cette découverte a couronné des années d’études géologiques et a fait taire les critiques qui doutaient depuis longtemps que du pétrole commercialement viable puisse être trouvé dans cette région. Elle a également déclenché l’un des booms économiques les plus remarquables de l’histoire moderne.
Déplorer la prospérité du Guyana
À mesure que la production augmentait et que les volumes de pétrole grimpaient en flèche, le PIB s’est envolé et le Guyana s’est transformé en l’une des économies les plus dynamiques au monde. Et le pays s’est efforcé de répartir ses nouvelles richesses pétrolières entre ses 835.000 citoyens. Le niveau de vie par habitant du Guyana grimpe en flèche dans les classements mondiaux, une tendance qui devrait se poursuivre au cours de la prochaine décennie.
A 7.000 kilomètres de là, le quotidien de référence irlandais, le Irish Times de Dublin, a publié il y a quelques jours un long article déplorant la nouvelle prospérité du Guyana. En voici des extraits choisis : « Tandis que le gouvernement guyanais affirme que l’extraction pétrolière et la protection de l’environnement peuvent coexister et qu’il a le droit, en tant que pays en développement, d’utiliser ses ressources, les détracteurs estiment que, dans un contexte de crise climatique mondiale qui s’aggrave, la Guyane fait le mauvais choix… ».
Pour le professeur Ivelaw Lloyd Griffith, auteur du livre « Oil and Climate Change in Guyana’s Wet Neighborhood » (Le pétrole et le changement climatique dans la région humide de Guyane), la situation dans laquelle se trouve la Guyane est « un paradoxe vivant: une nation qui poursuit la promesse du pétrole tout en vivant le danger potentiel du changement climatique ».
Une goutte d’eau
D’abord, que le Guyana exploite ou non son pétrole ne changera rien au réchauffement climatique en cours et à ses conséquences. Il permettra juste au pays d’avoir bien plus de moyens pour y faire face et protéger sa population. Ensuite et surtout, la nécessité de remplacer les combustibles fossiles par des sources d’énergies décarbonées est incontestable. C’est même la raison d’être de la transition énergétique. Mais reprocher à un pays très pauvre de vouloir sortir sa population de la misère en exploitant les ressources de son sous-sol comme l’ont fait depuis deux siècles les pays industrialisés et comme le font aujourd’hui, entre autres, les Etats-Unis, la Norvège, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Russie, la Chine (avec son charbon), le Brésil… est d’une hypocrisie sans nom. L’Irlande et l’Irish Times donnent-ils des leçons de morale à ses pays ?
Et les leçons de morale infligées au Guyana ne sont pas nouvelles. L’an dernier déjà, lors d’une interview réalisée par la BBC devenue virale, le président du Guyana Mohamed Irfaan Ali avait rétorqué sèchement aux accusations sur les émissions de gaz à effet de serre de son pays. « Je vous arrête tout de suite, avait répondu Mohamed Irfaan Ali. Savez-vous que nous avons une forêt éternelle qui est de la taille du Royaume-Uni et de l’Irlande combinée et absorbe bien plus de carbone que ce que nous allons émettre. Elle représente 19,5 gigatonnes de carbone ! Une forêt que nous avons préservée avec l’aide de personne et sans la moindre compensation. Au nom de quoi avez-vous le droit de nous donner des leçons sur le changement climatique… Tout cela, c’est l’hypocrisie qui existe dans le monde. »
Un pétrole dont l’extraction laisse une empreinte carbone parmi les plus faibles
En outre, ce que produit le Guyana par rapport aux pays cités est une goutte d’eau. Compte tenu des investissements faits par Exxon, Chevron et la compagnie chinoise CNOOC, Petroleum Guyana pourrait réussir à produire bientôt 900.000 barils par jour et s’est fixé pour objectif d’atteindre 1,7 million de barils par jour d’ici 2030. S’il y parvient, ce sera moins de 2% de la production mondiale…
Enfin, selon les experts de Rystad Energy, l’empreinte carbone de l’extraction du pétrole du Guyana est l’une des plus faibles au monde. Il s’agit là d’une caractéristique extrêmement intéressante à l’heure où les grandes compagnies pétrolières sont poussées à réduire fortement leurs émissions. Et en outre, cela abaisse le coût de l’extraction du pétrole du Guyana estimé par Rystad à 28 dollars le baril en moyenne.