On l’oublie souvent, mais la principale source de production d’électricité renouvelable en France est l’hydraulique. Elle a représenté l’an dernier pas moins de 13,9% du total avec près de 75 TWh. Et le poids de l’hydroélectricité explique pourquoi avec le nucléaire (67,4%), l’éolien (8,7%), le solaire (4,3%) et la biomasse et les déchets (1,9%), la France est l’un des champions du monde de l’électricité décarbonée avec plus de 95% de sa production l’an dernier.
L’hydroélectricité avait été qualifiée il y a quelques années, à juste raison, de « géant endormi » par l’Agence internationale de l’énergie (AIE). C’est le cas en France où elle est délaissée depuis deux décennies pour de mauvaises raisons. Du fait des moyens financiers et humains limités d’EDF, qui préfère les consacrer à la maintenance et la relance du nucléaire, et plus encore d’un différend persistant avec Bruxelles. Le modèle historique français des concessions est remis en cause par les règles européennes de la concurrence. Résultat, la modernisation des équipements hydroélectriques est presque à l’arrêt… Une aberration !
Deuxième parc européen de barrages
Cela est d’autant plus dommageable que l’hydraulique contrairement à l’éolien et solaire n’est pas une source d’énergie renouvelable intermittente et aléatoire, elle est dite pilotable, c’est-à-dire disponible quand elle est nécessaire. Elle permet aussi, via les STEP (Stations de transfert d’énergie par pompage), de stocker mécaniquement de l’électricité, ce qui est très précieux, notamment avec les renouvelables intermittents. La France possède le deuxième parc européen de barrages, qui totalise « 26 GW » de puissance installée, soit 17% de la capacité électrique nationale. Le pays compte 340 concessions qui représentent 90% de la puissance hydroélectrique, dont 61 sont échues au 31 décembre 2025.
Voilà pourquoi la publication le 13 mai d’un rapport parlementaire transpartisan qui fait des propositions pour sortir de l’impasse est une étape importante. La logique du rapport est claire : trouver le moyen d’éviter l’ouverture à la concurrence des ouvrages hydrauliques nationaux. Il s’agit de les protéger de la « prédation » de groupes étrangers pour reprendre le mot des rapporteurs, Marie-Noëlle Battistel (PS) et Philippe Bolo (Modem). Le rapport pourrait déboucher sur une proposition de loi que le gouvernement est prêt à soutenir. « Nous sommes totalement unanimes pour dire que la mise en concurrence n’est pas la solution et la France ne choisira pas cette option », a déclaré Marie-Noëlle Battistel devant la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale.
Mettre fin au régime des concessions
Le problème est celui du régime des concessions qui ont été octroyées, généralement pour soixante-quinze ans, à EDF principalement, mais aussi, à la Compagnie nationale du Rhône (CNR), détenue par Engie, la Caisse des Dépôts et des collectivités locales et à la Société hydro- électrique du Midi (Engie).
« Le pays est enlisé depuis plus de vingt ans dans un différend avec la Commission européenne », qui a ouvert deux procédures à l’encontre de la France, l’une datant de 2015, l’autre de 2019, rappellent les rapporteurs. Ces procédures portent sur la position dominante d’EDF et l’absence de remise en concurrence des concessions échues.
Les parlementaires proposent de remplacer les concessions par un système d’autorisations, sous forme de contrats à long terme entre l’Etat et les gestionnaires qui impliquent le transfert de la propriété des ouvrages. Cela donnerait de la visibilité aux exploitants pour qu’ils investissent. Cette solution ne s’appliquerait pas aux barrages de la CNR, dont les concessions expirent en 2041.
Eviter à tout prix le modèle aberrant de l’Arenh
De fait, les ouvrages seraient privatisés et n’appartiendraient plus à l’Etat. Et cela s’accompagnerait pour satisfaire Bruxelles, de la mise en place d’un système qui contraindrait EDF a céder une partie de l’électricité hydraulique à ses concurrents. Cela ne vous rappelle rien ? Le fameux système, aberrant, baptisé Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) mis en place en 2010 pour satisfaire Bruxelles.
Fruit de l’imagination fertile des technocrates de Bercy, l’Arenh a créé une concurrence totalement artificielle sur la distribution de l’électricité en France dont le consommateur n’a jamais vraiment bénéficié et au seul détriment d’EDF contraint de vendre une partie de sa production nucléaire à prix cassé à ses concurrents.
Les parlementaires se défendent aujourd’hui de vouloir créer un « Arenh hydro ». Mais en 2013, dans un précédent rapport, Marie-Noëlle Battistel défendait alors la mise en place d’une brique hydroélectrique dans l’Arenh. Depuis la situation énergétique du pays a bien changé, les socialistes ne sont plus officiellement anti nucléaires, et l’Arenh est considéré presque unanimement comme une aberration, mais prudence…
Les députés souhaitent créer un système beaucoup plus souple, avec des livraisons d’électricité hydraulique à la carte, ou des droits de tirage en fonction des besoins et des volumes disponibles.
Faire entendre raison à la Commission…
Il existe une autre option. Il faudrait que la France obtienne auprès de la Commission européenne une révision de la directive « concessions » qui exempterait l’hydroélectricité d’une mise en concurrence. On peut toujours rêver, tant le dogmatisme règne dans les bureaux de la Commission avec souvent une franche hostilité à la politique énergétique française.
En tout cas, sortir du blocage doit être une priorité. Selon Bernard Fontana, le nouveau Pdg d’EDF, retrouver de la visibilité sur l’exploitation des barrages permettrait d’augmenter de 20% les capacités hydroélectriques du pays et de lancer des investissements pour développer des STEP, le meilleur moyen existant pour stocker de l’électricité à grande échelle.