Transitions & Energies
Batteries automobile lithium-ion

En matière de transition, la France a multiplié depuis des années des choix industriels contestables


La  nécessaire  relance  de  l’activité  économique  fournit  l’occasion  d’une  réflexion sur  la stratégie industrielle  de  la  France.  Avec  deux  options  :  rattraper  certains retards ou sauter à l’étape suivante. Et deux approches : saupoudrer les moyens financiers disponibles ou les concentrer. Les choix en matière de développement de la voiture électrique en France fournissent un parfait exemple pour étayer cette réflexion. Batteries ou piles à hydrogène ? Emmanuel Macron semble avoir choisi.. Article publié dans le numéro 5 du magazine Transitions & Energies.

L’épidémie de la Covid-19 a plongé la France dans la récession. Comment en sortir ? N’est-ce pas le moment de stimuler cette activité industrielle dont les faiblesses ont été mises enévidence lors de la crise sanitaire ? Au-delà de la relocalisation de la production demasques, de tests ou de médicaments, le moment n’est-il pas favorable à une relance de lacréation d’infrastructures conciliant reprise économique et transition écologique ? Toutesces questions se posent en ce moment critique de sortie de l’épidémie et d’entrée dans unecrise économique non moins grave.

Pour cela, il semble difficile de se passer d’une forme de planification, un rôle qui revient àl’État comme le montre l’histoire de la France depuis la Seconde guerre mondiale. En 1946,le général de gaulle a créé le commissariat général du Plan composé de 160 personnes, dont 20 % de fonction- naires. Il s’agit alors de moderniser la France. En particulier dansle domaine de l’électricité avec la décision d’une indépendance grâce au nucléaire. Le parcdes centrales françaises est ainsi construit en vingt-cinq ans, entre 1977 et 2002. Le commissariat général du Plan est remplacé par le Centre d’analyse stratégique en 2006,puis par France Stratégie en 2013. La planification n’a plus la cote et l’État lui préfère les investissements privés ou les fameux partenariats public-privé apparus en France en 2004.

Plus libérale que le plan, cette approche ne peut faire l’économie d’une vision à long terme.En effet, l’État seul est en mesure d’orienter des « investissements d’avenir », formule utilisée par le programme de 57 milliards d’euros lancé par le gouvernement Fillon en2010. Dispersée sur des dizaines de domaines, cette stratégie peine à dessiner desobjectifs prioritaires avec le risque d’un saupoudrage peu efficace. Et le manque persistantde cibles clairement identifiées.

Les batteries plutôt que l’hydrogène

Alors que faire ? Couvrir les toits avec des panneaux solaires ? Ce serait, une fois de plus,ouvrir la porte aux importations chinoises. Hérisser la France d’éoliennes ? La résistancedes municipalités pose un gros problème. Créer un vaste réseau de bornes de rechargepour voitures électriques ? Cela paraît indispensable pour accompagner le développementde la voiture électrique en France. Mais n’est-ce pas le moment d’entrer résolument danscette économie hydrogène théorisée par Jeremy Rifkin dès 2002 ? Faut-il privilégier labatterie ou miser sur la pile à combustible en profitant de la présence en France d’uneentreprise comme Air Liquide, spécialiste de la production de gaz comme l’hydrogène etqui emploie 67 000 personnes dans le monde pour un chiffre d’affaires de 22 mil- liards d’euros ?

Emmanuel Macron semble avoir choisi. Du moins a-t-il amorcé un changement notablede stratégie à l’occasion d’un discours prononcé dans l’usine Valeo d’Étaples-sur-Mer le 26mai 2020. Outre la stimulation de la demande pour relancer le marché automobilegravement touché par le confinement et la volonté de relocaliser la production en France, leprésident de la République a indiqué que le parc français devait devenir « plus vert ». Pourcela, l’objectif est de « faire de la France la première nation productrice de véhiculespropres en Europe en portant à plus d’un million par an sous cinq ans la production devéhicules électriques, hybrides rechargeables ou hybrides ». En plus des primes à l’achat devéhicules plus propres, Emmanuel Macron a annoncé un plan de déploiement de 100 000bornes de recharge pour voitures électriques dès 2021, au lieu de 2022 comme prévuauparavant. Voici donc un objectif clair pour une infrastructure indispensable,comparable à celles qui ont permis de développer le téléphone fixe et mobile ou la fibreoptique en France.

Si les choix stratégiques dessinent une direction claire, ils révèlent aussi la mise à l’écart decertaines options. Ainsi, Emmanuel Macron privilégie clairement la voiture électrique à batterie contre celle qui utiliserait des piles à combustible hydrogène. En cela, il suit plutôt lemouvement amorcé par les deux constructeurs français, PSA et Renault, au cours desdernières années. Les bornes de recharge concernent exclusive- ment ces modèles ainsi que les voitures hybrides rechargeables, encore peu nombreuses. Cette option est cohérenteavec l’alliance européenne des batteries. Lancé en 2017 par la Commission et lesgouvernements européens, ce projet surnommé l’Airbus des batteries vise à rattraper le retardconsidérable de l’Europe sur l’Asie en matière de fabrication de ce composant clé des voituresélectriques. On note que le parc de voitures électriques en service en Chine a at- teint les 23millions en 2019 contre 1,2 million en Europe dont 300 000 en France. La bataille de labatterie risque fort d’être rude. Renault, qui se fournit en Asie, n’a d’ailleurs pas spontanément adhéré à l’alliance européenne des batteries. Le soutien de l’État a fini par leconvaincre… Le risque, dans un marché très compétitif, est que la production française re- vienne plus cher et rendent les voitures électriques plus difficiles à vendre face à laconcurrence asiatique.

Rattraper un retard ou viser l’étape suivante ?

On peut donc se demander s’il n’est pas déjà trop tard pour les batteries. S’il est préférable detenter un tel rattrapage plutôt que sauter à l’étape suivante. Le gouverne- ment français, toutcomme l’Europe, est confronté à un tel choix en matière de voitures électriques. En effet, aulieu de privilégier les batteries, il serait possible aujourd’hui de miser sur l’hydrogène. D’autantque la France, en particulier, dispose de nombreux atouts dans ce domaine. Autour d’AirLiquide, une filière complète y est prête à déployer la mobilité hydro- gène. On connaît bienses avantages : zéro émission de CO2 et une autonomie de 600 à 800 km avec une rechargeen quelques minutes. Il suffirait ainsi d’équiper chacune des quelque 11 000 stations-serviceexistant en France avec une pompe à hydrogène (il en existe une vingtaine aujourd’hui). Trèsdifférent de la nécessité de créer les 100 000 bornes de recharge de batteries voulues parEmmanuel Macron d’ici 2021, ce qui représente d’augmenter, en dix-huit mois, de 340 % lenombre de points de recharge existant (29 578 en mars 2020, + 15 % en un an). Il s’agit biend’un choix d’infrastructure qui aura un impact important sur le développe- ment de la voitureélectrique en France. L’Europe préconise une borne pour 10 voitures en service. Avec 100 000bornes, il est donc possible de recharger 1 million de véhicules électriques sur la voiepublique. À terme, l’électrification du parc actuel d’environ 40 millions d’automobilescirculant en France nécessitera 4 millions de bornes… Bien sûr, bon nombre d’utilisateursrechargent chez eux, avec un avantage à ceux qui habitent dans une maison individuelle parrapport aux immeubles plus difficiles à équiper de bornes. Enfin, le temps de recharge etl’autonomie des véhicules à batteries restent des handicaps vis-à-vis des voitures à essence.Tous ces problèmes disparaissent avec la voiture à hydrogène : plein rapide, autonomie prochede celle des modèles à essence et réseau de pompes identique à celui qui existe. On peutraisonnablement se demander pourquoi faire le choix de la batterie dans ce contexte.

Depuis la fin des années 1990, les constructeurs automobiles français accusent un retard enmatière d’évolution de la motorisation. En 1997, lorsque Toyota lance la première voiturehybride, la Prius, ni Renault ni Peugeot n’y croient. Il faudra attendre près de quinze ans pour que Peugeot commercialise la 3008 hybride. Renault, qui mise sur le tout électrique dès 1992,finit par réussir une percée notable avec la Zoe à partir de 2013. Pourtant, des modèles hybridesrechargeables sont lancés… en 2020. C’est dire à quel point la réaction des constructeursfrançais est lente. La Toyota Prius a pourtant équipé une partie de la flotte des taxis g7 dès2007…

L’histoire semble se répéter avec la voiture à hydrogène. En 2015, lors de la COP21 qui setient à Paris, la Société du taxi électrique parisien (STEP) lance une flotte de 5 taxis à hydrogène avec une autonomie de plus de 500 km et une recharge entre trois et cinq minutesdans une station installée en face du pont de l’Alma, en plein cœur de Paris. En 2019, la flottepasse à 120 véhicules et devait atteindre les 600 fin 2020 avec des modèles construits par le coréen Hyundai (Ix35) et le japonais Toyota (Mirai). Début 2019, Hype s’est associé à Toyota,Air Liquide et Idex pour créer la société Hysetco avec l’objectif d’équiper toutes lescompagnies de taxis parisiennes avec des voitures à hydrogène d’ici les Jeux olympiques de 2024.

Comme avec les Prius, tout cela se passe sous les yeux des constructeurs français. Cesderniers ne sont même pas membres de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AtfHyPAC), ni du Hydrogen Council, une initiative lancée en 2017 lors duForum économique mondial de Davos. Hyundai et Toyota, eux, en font partie… Tout comme Air Liquide, Total, Engie, Faurecia ou Michelin. De nouveau, PSA et Renaultsemblent insensibles aux sirènes asiatiques.

Paradoxalement, la Ville de Paris et l’Union européenne soutiennent le projet Hype. Leprogramme Zefer (Zero Emission Fleet vehicles For European Roll-out) apporte 5 M€ sur lapériode 2017-2022. Soit 20 % des 25 M€ investis dans le projet. Une subvention qui permetd‘alléger les surcoûts engendrés par une technologie dont l’économie ne bénéficie pas encoredes effets d’échelle. Un taxi à hydrogène coûte entre 50 000 et 60 000 euros. L’hydrogène lui-même reste coûteux : 15 euros pour un kilo permettant de parcourir 100 km. Soit le double dudiesel…

Une filière hydrogène prête en France

L’hydrogène a toutefois été mentionnée deux fois lors du discours d’Emmanuel Macron du 26mai 2020. La première pour indiquer que les primes à l’achat concerneront aussi les modèlesà pile à combustible. En 2019, ces derniers ont comptabilisé 63 ventes en France contre 36 en2018 pendant que celles des voitures à batterie représentaient 42 763 unités (+ 38 % parrapport à 2018), selon l’association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere). La seconde citation du président de la République concerne Michelin et Faurecia quis’engagent sur la pile à hydrogène avec Symbio. filiale commune des deux équipementiersfrançais depuis novembre 2019, l’entreprise fondée à Grenoble en 2010 par Fabio Ferrari vise25 % d’un marché estimé à 15 milliards d’euros en 2030. Le 10 mars 2020, Symbio a posé lapremière pierre de sa nouvelle usine dans la région de Lyon avec l’objectif de produire 200000 piles à combustible StackPack par an en 2030. Pour l’instant, l’entreprise compte 200salariés et bénéficie d’un investissement de 140 M€ de ses actionnaires mais souhaiteraitaussi un coup de pouce de l’État. Toute la question est de savoir si cela sera suffisant pour que laFrance s’installe réellement dans la course à la voiture à hydrogène.

Pierre-Étienne Franc, directeur de l’activité mondiale Hydrogène Énergie d’Air Liquide,résume la situation actuelle : « On a tout fait en France. » En d’autres termes, si la filière estprête à passer à l’action, elle ne peut le faire seule. On en revient à la question de la stratégieindustrielle de la France. Avec de véritables choix au lieu du saupoudrage. Il ne s’agit plus depouvoir afficher une présence dans tous les domaines, mais, au contraire, d’assumer de fairedes impasses.

Lorsque les moyens financiers sont limités, il faut les rassembler pour avoir une chanced’aboutir à de véritables résultats. Lorsque la compétition est mondiale, la taille critiqued’une activité est impérative pour éviter qu’elle ne soit balayée par la déferlante de laconcurrence.

Qu’il s’agisse de l’hydrogène ou d’une autre voie, la question qui se pose aujourd’hui est doncbien celle du choix. C’est- à-dire de la concentration des moyens humains et financiers, au lieude leur dispersion, pour atteindre un objectif aussi pré- cis qu’ambitieux. Ne s’agit-il pas de laprincipale qualité d’une stratégie ? Elon Musk, le patron de Space X, rêve d’aller sur Mars.Cela lui a permis de damer le pion à Boeing pour s’imposer auprès de la Nasa et il vientd’acheminer des astronautes jusqu’à la station spatiale internationale, une première pour une entreprise privée. Avec Tesla, il a décidé de vendre des voi- tures électriques de luxe dans lemonde entier. La Model 3 ar- rive en seconde position en France dans les ventes de voitures électriques en 2019 derrière la Zoe, alors qu’elle coûte presque deux fois plus cher. Le seulréseau de recharge ultrarapide de batteries en France a été construit par Tesla…

Nul doute qu’Elon Musk a le don de faire rêver. Au mo- ment où le spectre de la Covid-19, quinous a confinés pen- dant près de trois mois et qui a mis l’économie française à genoux, n’est-ce pas le moment idéal pour insuffler une part de rêve et éclairer l’avenir?

Michel Alberganti

 

Ce que serait une filière hydrogène

Pour Philippe Boucly, président de l’Association française pour l’AFHYPAC, « la filièrefrançaise est en ordre de bataille ». En janvier 2020 à Versailles, l’Hydrogen Council s’est réjoui de voir le nombre de ses membres passer de 13 à 80 en trois ans. À cette occasion, une étude a été présentée par un groupe d’adhérents français de l’Hydrogen Council. « Nous avons montré que, pour atteindre les chiffres de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévus pour 2023, il faut investir environ 1,9 milliard d’euros dont 850 Md’aides de l’État », indique Philippe Boucly.

Cette somme servirait à déployer des véhicules utilitaires, des camions et des trains à hydrogène ainsi qu’à construire des usines en France pour développer ces moyens de transport. PhilippeBoucly souligne que « le train à hydrogène roule en Allemagne et une version française, bi-mode électrique-hydrogène est en cours d’études chez Alsthom qui abesoin d’une aide en recherche et développement dans ce domaine ». Des usines produisant des stations de recharge hydrogène sont également nécessaires. L’État pourrait également contribuer à gommer l’écart de prix de revient entre l’hydrogène « gris » produit à partir d’hydrocarbures (reformage) et l’hydrogène « vert» obtenu par électrolyse de l’eau avec de l’électricité renouvelable ou décarbonée. Avec une option particulièrement intéressante en France : la production d’hydrogène par les centrales nucléaires.

Voilà que l’énergie atomique, faute  d’être renouvelable, pourrait alimenter les véhicules àhydrogène sans émettre de carbone. EDF semble prêt à s’engager dans cette voie susceptible de verdir son activité. En 2019, elle a créé une filiale, Hynamics, dédiée à la production d’hydrogène pour l’industrie et le transport. Au lieu  de recharger les batteries, l’électricité peut servir à produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. Une autre façon de réduire les émissions de CO2 dans les transports. Mais l’hydrogène peut aussi alimenter des industriels dans la métallurgie, le ciment, la chimie, la verrerie ou la pâte à papier…

Les fluctuations de la consommation d’électricité en fonction du jour et de la nuit, des week-ends et des saisons laissent une marge importante d’exploitation des centrales pour produire de l’hydrogène décarboné.

 

L’Allemagne veut devenir le numéro un mondial de l’hydrogène

La planification ne fait pas débat en Allemagne. Le 4 juin 2020, son gouvernement a adopté un plan de 130 milliards d’euros qui s’ajoute aux 1 100 milliards annoncés en mars pour relancer son économie. Sur les 50 milliards d’euros affectés aux investissements et au soutien de la recherche et de l’innovation, 7 milliards sont attribués au développement d’usines de production d’hydrogène et 6,7 milliards à la promotion de la voiture électrique et aux bornes de recharge.

L’Allemagne privilégie ainsi massivement le développement des voitures électriques, qu’elles soient à batteries ou à hydrogène. Dès la fin de 2019, le ministre des Transports, AndreasScheuer, avait affirmé que l’hydrogène était l’un des carburants du futur et que la production d’hydrogène décarboné une opportunité industrielle majeure.

Dès février 2020, les objectifs étaient affichés : 20 % des besoins en électricité assurés par l’hydrogène décarboné grâce à 3 à 5 GW de capacité d’électrolyse, 60 000 voitures particulières et 500 véhicules utilitaires à hydrogène en circulation en 2021 avec 2,1 milliards de prime à l’achat jusqu’en 2023, 600 millions d’euros pour les laboratoires de recherche d’ici 2025…

La route est tracée. L’Allemagne va exploiter sa production d’électricité renouvelable quicouvre aujourd’hui 46 % de ses besoins. Le stockage de l’électricité grâce à la production d’hydrogène permet de pallier l’intermittence du fonctionnement des panneaux solaires et des éoliennes et de réduire les pertes liées à l’acheminement par lignes à haute tension.

En finançant la recherche et le développement, les usines de production d’hydrogène, les stations-service et l’achat de véhicules, l’Allemagne dessine une stratégie de conquête que Peter Altmaier, ministre de l’Économie, affirmait, début novembre 2019 dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung : « Nous devons poser les jalons pour que l’Allemagne devienne le numéro un mondial des technologies de l’hydrogène. »

La rédaction