Transitions & Energies
Dessin GAB Homos Sapiens

Sans la science, pas de transition énergétique, seulement des choix néfastes


Article paru dans le N°4 du magazine Transitions & Energies.

On ne pourra défendre nos écosystèmes et notre environnement qu’avec l’aide de la science. Contre elle, nous irons à la catastrophe et les collapsologues auront gagné.

Homo sapiens a toujours voulu à la fois comprendre son univers et utiliser plus et mieux les ressources qu’il pouvait s’approprier. Les derniers siècles ont à la fois vu une explosion de ses connaissances et de ses techniques. Les famines comme les grandes épidémies mortelles ont largement été combattues et désormais plus de 7,7 milliards d’humains vivent sur notre planète avec une diminution en nombre de ceux qui ont encore faim et une espérance de vie qui a progressé en moyenne d’une bonne vingtaine d’années en soixante-dix ans. Mais la meilleure maîtrise de son environnement par Homo sapiens s’est accompagnée de dégradations importantes infligées à la nature. Un rappel à l’ordre est devenu une nécessité sur le gaspillage, la pollution, la raréfaction des matières premières, la disparition de beaucoup d’écosystèmes.

Le progrès cherché et obtenu par l’utilisation des connaissances scientifiques a conduit à des abus inutiles pouvant mettre à mal notre avenir d’humains dans les siècles à venir. Le signal d’alarme a été tiré d’abord par une partie de la communauté scientifique, qui s’inquiétait de prédations humaines pouvant être irrémédiables. Dans les années 1960, essayant d’oublier la guerre mondiale qui avait endeuillé la plupart des pays, les défenseurs de l’environnement ont essayé de réveiller à la défense des écosystèmes les populations et leurs représentants. Ce sont d’abord les hommes et les femmes de science qui ont observé et alerté sur les conséquences des actions humaines. Ils ont mis en lumière les perspectives douloureuses qui nécessitaient des actions coordonnées (et non uniques comme le voudraient aujourd’hui les partisans d’un gouvernement du monde).

DISTINGUER LA CROYANCE DE LA REPRODUCTIBILITÉ DES RÉSULTATS. Force est de constater que dans les concerts d’aujourd’hui, à part quelques-uns qui se sont mis à étudier la climatologie, peu sont écoutés, encore moins entendus, tandis que les spécialistes des peurs ont pris le devant de la scène et assènent des contre-vérités scientifiques avec aplomb. Cette évolution est dramatique pour nos sociétés, car elle conduit irrémédiablement à prendre de mauvaises décisions qui vont aggraver la situation de nos écosystèmes et plonger la population dans un dédale de revendications de plus en plus impossibles à obtenir. Dans notre pays, la recherche permanente d’un « bien » mythique inatteignable génère frustrations, rancœurs et violences qui auraient pu être évitées grâce à des exposés de la méthode scientifique. Cela permettrait de distinguer plus clairement ce qui est du domaine de la foi, de la croyance, et ce qui est du domaine de la connaissance basée sur la reproductibilité des résultats.

Notre capacité à nourrir, soigner, éduquer des populations de plus en plus nombreuses a été rendue possible par la disponibilité d’une énergie abondante et bon marché. C’est ce qui a permis l’essor industriel et ses conséquences, souvent bonnes et parfois mauvaises. Le maintien d’une population importante (ou même son développement) est incompatible avec la perspective d’un affaiblissement de nos ressources énergétiques.

La théorie de la décroissance conduit à celle, en priorité, de la chute de la démographie et donc de l’éradication et de la stérilisation d’une partie importante des Homo sapiens, ce que, je l’espère, personne ne peut défendre. La production industrielle ne peut pas non plus s’arrêter car nous vivons avec elle toutes les minutes de notre vie. Le gaspillage des ressources a des effets dévastateurs qu’il nous faut corriger et ainsi s’est forgée une conscience de la nécessité du développement durable, avec le recyclage, l’utilisation rationnelle des sols, les travaux sur la qualité de l’air, de l’eau, de la biodiversité… tout ce qui permet de mieux contrôler l’évolution des écosystèmes.

Mais c’est la science qui nous permet (ou devrait nous permettre) de dire à chaque instant si notre direction est bonne, si les solutions que nous envisageons vont ou non dans le bon sens, étant entendu que nous avons des connaissances parcellaires et imparfaites des réactions de la nature à nos actions et que nous tâtonnons quel que soit le lyrisme de telle ou telle discipline qui croit être parvenue à la connaissance ultime. Il convient donc à chacun d’entre nous de nous assurer à chaque instant si ce sur quoi s’appuie l’action est bien un résultat et non une croyance.

« LE SIÈCLE VERT ». Dans les débats qui nous animent dans la partie émergée économiquement de la planète, l’environnement a une part importante, et désormais on considère deux mondes, le vert, le propre, le renouvelable, et puis l’autre que l’on ne qualifie même plus tellement son existence paraît méprisable au point de lui interdire de plus en plus son expression verbale. Cette dichotomie qui a conduit Régis Debray à rédiger un essai sur le « siècle vert » serait risible si elle ne nous conduisait pas à grande vitesse dans le mur, car ces qualificatifs sont erronés tant que la science ne les adoube pas, et elle ne peut le faire puisqu’elle est en constante évolution. D’un côté, on fige une situation à une date précise en considérant que la science s’est arrêtée et de l’autre, les hommes de science travaillent et s’interrogent de plus en plus discrètement pour ne pas subir les derniers outrages.

BÂTIR UN SYSTÈME ARTIFICIEL GRÂCE À LA SCIENCE. L’énergie abondante et bon marché peut encore théoriquement venir pendant une bonne centaine d’années des énergies fossiles, un relais peut venir de l’utilisation de la physique du noyau et on peut espérer obtenir un jour un meilleur rendement des rayons solaires en trouvant des solutions au stockage. On peut balancer à l’opinion tous les chiffres que l’on veut, les travaux gratuits de la terre pendant des millions d’années à nous préparer des fossiles restent utilisables, nous en sommes aux balbutiements à la fois du nucléaire et de l’utilisation de l’énergie du soleil quand la rotation de la terre nous le permet. On peut tordre les données, mener des débats à l’infini, on ne pourra pas justifier le recours autrement que par idéologie et choix politiques et donc par l’intermédiaire de subventions diverses pour favoriser les biocarburants, les éoliennes, la méthanisation…

Par contre, les sociétés sont parfaitement légitimes à poursuivre les travaux et les réalisations dans l’ensemble de ces filières pour d’autres raisons : indépendance, pollutions, recyclage, et diminution des gaz à effet de serre. Il s’agit alors de déterminer jusqu’où peut-on aller sans détériorer une partie de l’humanité en fixant des taxes et des subventions pour s’orienter vers des solutions qui paraissent plus favorables au maintien des écosystèmes. Mais, dans la mesure où l’on bâtit ainsi un système artificiel, il faut s’assurer que les résultats scientifiques quotidiens ne viennent pas infirmer l’orientation choisie.

C’est ainsi que, par exemple, on a raison de s’interroger sur les émotions antinucléaires et l’arrêt des recherches en France sur des réacteurs des prochaines générations utilisant déchets nucléaires et uranium naturel (tous les autres pays continuent, États-Unis, Chine, Russie, Corée…). De même les éoliennes en mer ravagent les écosystèmes lors des ancrages, les recherches portent sur des matériels flottants, on comprend mal que des défenseurs de l’environnement continuent à favoriser ces installations manifestement en désuétude potentielle. Les études montrent l’intérêt pour les conurbations denses de limiter les véhicules à moteur thermique, on voit donc une évolution vers une augmentation des véhicules électriques dans les villes, mais les progrès réalisés par les moteurs à explosion permettent de relativiser et même d’inverser son intérêt pour l’émission de gaz à effet de serre en regardant le bilan carbone global. On ne peut que regretter les diktats sur la disparition (en un seul pays, le nôtre) des véhicules actuels. La méthanisation des déchets organiques et son orientation vers le réseau gazier ont un coût, comme l’utilisation des biocarburants, mais il n’existe pas de gaz carbonique propre ou sale, pas plus que de méthane propre et l’essence, comme le gaz, les plus abondants et les moins chers resteront pendant une bonne centaine d’années, au moins, les produits des énergies fossiles.

On a raison d’étudier, d’expérimenter, de mélanger, mais de grâce arrêtons de fixer des recommandations et des objectifs à telle échéance : il faut être à 100 % électrique ou renouvelable et donc propre ou vert. Ces déclarations sont puériles, inexactes, trompeuses, mensongères, comme les publicités qui nous annoncent qu’avec un tel vous n’aurez que de l’énergie électrique verte alors que la ligne du réseau est unique !

On pourrait multiplier les exemples qui trompent de façon permanente l’opinion et qui font rester le monde scientifique sous leur tente. Géologues, physiciens, chimistes, biologistes qui travaillent pour la population sont dépassés par l’utilisation erronée des vrais résultats sortant de leurs laboratoires. On ne pourra défendre nos écosystèmes et notre environnement qu’avec l’aide de la science. Contre elle, nous irons à la catastrophe et cette fois les collapsologues seront parvenus à leurs fins.

Loïk Le Floch-Prigent

La rédaction