Transitions & Energies
Batteries Sodium

L’ère des batteries au sodium, Jules Verne l’avait prédit


Après les succès de la recherche française dans la batterie sodium-ion, une start-up a commencé a fabriqué des prototypes et une usine de production devrait voir le jour. Jean-Marie Tarascon, professeur au Collège de France, nous explique les avantages de cette technologie.

Jules Verne, dans Vingt Mille Lieues sous les mers, en avait eu l’intuition : « Les piles au sodium doivent êtreconsidérées comme les plus énergétiques. » C’était il y atout juste cent cinquante ans, et le capitaine Nemo à l’origine de cette prédiction n’établissait de comparaison que par rapport aux piles au zinc. Aujourd’hui, la réalité dépasse la fiction. Les batteries sodium-ion existent, des chercheurs français fondent de gros espoirs sur leurs débouchés potentiels, des prototypes sont testés et une start-up s’est lancée dans le processus à Amiens. L’aventure a commencé il y a dix ans avec la création duRS2E (Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie) à l’initiative du CNRS et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (voir encadré).Puis, une task-force sodium-ion a été mise en place dans le cadre de ce groupement. Les résultats sont aujourd’hui au niveau des projections les plus optimistes. Des prototypes ont été mis au point qui révèlent des niveaux de puissance et de durée de vie très intéressants, en utilisant une matière première très répandue sur la croûte terrestre.

PUISSANCE CONTRE DENSITÉ ÉNERGÉTIQUE. Il ne s’agit pas toutefois de chercher à concurrencer la batterie lithium-ion, qui a révolutionné l’univers du stockage de l’énergie et dont les inventeurs ont été récompensés du prix Nobel de chimie en 2019. « La technologie lithium-ion sera toujours supérieure au sodium-ion en terme de densité énergétique, c’est-à-dire la capacité à stocker de l’énergie par unité de masse ou de volume », explique Jean-Marie Tarascon, professeur au Collège de France, spécialiste de la chimie du solide et directeur du RS2E. En revanche, avec sodium-ion, nous sommes parvenus à des performances de puissance qui sont excellentes. Sur ce terrain-là, on peut même battre le lithium-ion. C’est typique des batteries : la puissance et l’autonomie sont deux valeurs antagonistes. Dans le cas du lithium-ion, on a l’autonomie. Mais si on veut augmenter la puissance, c’est au détriment de l’autonomie. » La technologie au sodium devient alors plus performante. Elle présente d’autres caractéristiques, comme une espérance de vie des batteries plus longue qu’avec le lithium-ion, ou des cycles de recharge plus courts.  Et surtout, par rapport au lithium, « une disponibilité du sodium 10 000 fois plus abondante sur la planète, une ressource beaucoup mieux répartie, et une meilleure contribution au développement durable », considère Jean-Marie Tarascon.

Certes, il y a aussi des inconvénients. À cause de la densité d’énergie moins élevée, il faudra plus de batteries pour équiper un véhicule de transport léger, soit plus de poids pour ce véhicule et donc plus d’énergie dépensée pour transporter les seules batteries. Ce qui les rend plutôt incompatibles aux modes de transport légers tout électriques. En revanche, « utilisées en réseau pour du stockage stationnaire avec des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques, ou sur des véhicules hybrides, ou des chariots élévateurs qui ont besoin de puissance, voire des flottes de véhicules en location qui nécessitent des recharges rapides des batteries, les sodium-ion peuvent trouver de multiples applications », insiste le directeur du RS2E.

Pour exploiter ces débouchés potentiels, une start-up a été créée en 2017, Tiamat (divinité des océans dans la mythologie babylonienne) installée en Picardie à Amiens. Après une première levée de fonds, les chercheurs ont conçu un premier prototype de batterie sodium-ion au format « 18650 », le même format que celui utilisé par l’industrie pour les batteries lithium-ion. Une quinzaine de personnes peuvent y produire aujourd’hui quelque 500 cellules par mois, qui sont ensuite testées par des industriels. La prochaine étape consiste à construire une usine, de préférence en Picardie, pour lancer une fabrication en série. Dans cet objectif, des négociations sont en cours pour mener une seconde levée de fonds qui pourrait être réalisée cette année afin que l’usine soit opérationnelle dès 2023.

UN DÉFI STRATÉGIQUE. Une course de vitesse est lancée. On se souvient de l’avantage pris par le Japon sur la batterie lithium-ion alors que la recherche française maîtrisait aussi cette technologie. L’industrie, elle, n’y avait pas cru alors que, côté japonais, l’industriel Sony disposait de débouchés dans les matériels de communication qui n’existaient pas en France. Ce qui a fait la différence. Pour sodium-ion, « il existe d’autres équipes de recherche qui travaillent sur le sujet. La compétition la plus forte vient du Japon, puis de la Chine. Et comme la technologie sodium-ion est proche du lithium-ion, les grands constructeurs qui voudraient y passer pourraient assez facilement y parvenir. Il y a quatre ans, elle était considérée comme une curiosité de laboratoire. Aujourd’hui, nous sommes copiés et beaucoup de programmes nationaux en Europe et en Asie ont inscrit le sodium-ion à leur feuille de route. Le problème est que, si dans quelques mois la Corée ou la Chine décident de se lancer dans cette technologie, ces pays y parviendront à des coûts moins élevés. C’est le défi qui se pose à nous. En Europe, la France est clairement la plus avancée. Il n’y a pas encore de coopération, mais il y a des discussions et l’Allemagne est intéressée. Et elle dispose, dans le domaine des batteries, de moyens de financement qui n’existent pas en France », explique Jean-Marie Tarascon.

SURSAUT EUROPÉEN. Le contexte créé avec le lancement par l’Union européenne, en décembre 2019, de  « l’Air-bus des batteries », est plutôt favorable. Cette coopération implique sept pays européens qui vont subventionner à hauteur de 3,2 milliards d’euros la création et le développement d’une filière lithium-ion par dix-sept industriels du secteur automobile. Elle va se concrétiser en France par la construction en Charente d’une usine pilote pour la recherche dont la mise en service, annoncée par Emmanuel Macron en février, est prévue pour mi-2021. Certes, à ce stade, cet « Airbus des batteries » ne concerne pas la technologie sodium-ion. Mais derrière ce projet, « d’autres évolutions se préparent, au moins au niveau académique », souffle le professeur au Collège de France. Si l’Europe considère aujourd’hui le secteur des batteries comme prioritaire, elle n’en a pas perçu à temps le caractère stratégique. Au point qu’elle ne représente plus rien aujourd’hui sur l’échiquier mondial des accumulateurs, face à la Chine qui, à elle seule, rassemble les deux tiers des capacités mondiales de fabrication des batteries lithium-ion, avec un objectif à 90 % ! Si elle veut défendre ses acquis technologiques et sa souveraineté économique dans un domaine qui peut être créateur de 2 à 3 millions d’emplois, l’Europe doit impérativement marquer son territoire dans les technologie sémergentes, tel le sodium-ion.

À ce titre, cette technologie s’inscrit dans le cadre plus vaste du projet européen Battery 2030 qui, prenant acte du fossé qui sépare aujourd’hui l’Europe des États-Unis et de l’Asie dans les technologies connues, vise à reprendre la main dans de nouveaux domaines d’étude comme le diagnostic en temps réel, la capacité d’auto-réparation et l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les batteries. Neuf pays y participent aujourd’hui.

Pour marquer des points, les technologies futures du stockage d’énergie doivent aussi démontrer qu’elles constituent une avancée au niveau du développement durable. Outre l’accès à la matière première, la question du recyclage st posée pour que, par exemple, le scandale du plastique que personne n’aurait anticipé il y a un siècle ne se reproduise pas aujourd’hui dans ce secteur. Or, la situation actuelle dans les batteries n’est pas satisfaisante. Parallèlement aux aspects techniques, des recherches sont menées en ce sens dans le cadre du RS2E. Il s’agit, globalement, de remplacer les procédés de pyrométallurgie ou d’hydrométallurgie, grosconsommateurs d’énergie ou de solvants et d’eau, par des méthodes de recyclage chimique en circuits courts qui, comme pour le cobalt, pourraient être économiquement plus intéressantes que l’extraction de matière première. C’est une autre dimension à prendre en compte pour faire émerger les débouchés qui assureront le développement de la batterie au so-dium.

Gilles Bridier

 

RS2E et batteries d’avenir

Le Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie(RS2E) a été initié en 2011 parle CNRS avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, auxquels se sontjoints le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques), IFPEN (IFP énergies nouvelles), et une quinzaine d’industriels dont Airbus, Alstom, EDF, Renault, Saft, Solvay, Total… On compte, parmi les laboratoires de ce réseau, pas moins de dix-sept unités de recherche du CNRS et d’universités dont le Collège de France. Les axes de travail sont multiples, tous concentrés surle stockage de l’énergie pour le futur. Les nouvelles chimies forment un domaine important.

Elles concentrent entre autres les travaux sur les batteries sodium-ion, mais aussi sur des batteries à électrolytes solides ou sur lithium-air ou lithium-soufre… Le stockage écocompatible est un autre axe de recherche qui se porte sur les problèmes de recyclage et d’analyse de cycle de vie. L’objectif consiste également à intégrer de nouveaux matériaux électroactifs, et de se projeter au-delà du principe lithium-ion en intégrant des dimensions écologiques, éthiques et géopolitiques dans les options alternatives.

La rédaction